Notre peur de n’être
Les monologues du chagrin
Fabrice Murgia/Cie ArtaraLa solitude moderne est depuis toujours au cœur de l’œuvre de Fabrice Murgia. Sensation du « In » lors du festival d’Avignon 2014, Notre peur de n’être ne fait pas exception à la règle, offrant au public un regard quasi anthropologique sur trois individus paralysés par la société qui les entoure.
Il y a d’abord cet homme, quitté par son épouse après 22 ans de mariage et qui s’oublie dans ses discussions avec la voix désincarnée de son téléphone. Il y a ensuite cette étudiante, espérant trouver dans les phrases enregistrées sur son dictaphone le courage d’affronter la vie adulte. Il y a enfin ce pauvre hère, réfugié depuis 10 ans dans sa chambre pour ne plus avoir à supporter la pression sociale, à la façon des hikikomori japonais. « On trouve dans mon travail une obsession des nouveaux rapports », explique Fabrice Murgia, soulignant l’ironie de la démarche : « les technologies récentes ont imposé de nouvelles façons d’être seuls. Pour moi, le théâtre représente la dernière expérience collective ».
Fol espoir
Auréolé d’un Lion d’argent à la biennale de Venise pour son théâtre « innovant », le metteur en scène belge de 30 ans (et déjà six créations) rejette pourtant les étiquettes. Osons alors « virtuose » pour évoquer Notre peur de n’être. Ici, grâce à une machinerie complexe, les personnages surgissent tour à tour de l’ombre pour poursuivre leur monologue là où ils l’avaient laissé, tandis que deux narratrices en plateau (Magali Pinglaut et Cécile Maidon, aux voix enveloppantes) offrent un accès direct à leurs pensées. Contrairement à ses œuvres précédentes, Murgia impulse là un souffle d’optimisme. Laissant la dernière tirade à son hikikomori, il imagine une fuite vers un monde archaïque, « où les individus auraient retrouvé le sens du vivre ensemble ».