Home Best of Entretien : Jean-Claude Malgoire

Dans les coulisses d'Aben Hamet

Jean-Claude Malgoire, portrait © DR

« À nos débuts, il y a plus de trente ans, certains ont pensé que je voulais faire de l’Atelier Lyrique un temple des musiques baroques à Tourcoing, se souvient son directeur, Jean-Claude Malgoire. Au contraire : je souhaitais ouvrir à tous les styles, les musiques indiennes, par exemple, et toutes les époques ».  Et depuis, l’endroit a couvert pas loin de dix siècles de musique, de Guillaume de Machaut à nos jours. « Nous voulons avant tout ouvrir les portes de l’opéra, ajoute-t-il. Le public est trop captif de quelques œuvres, comme Carmen, Les Noces de Figaro ou Manon. Nous souhaitons présenter autre chose ». Et de poursuivre : «  L’opéra est le seul art total, tous les corps de métier du spectacle vivant sont représentés ». Défricheur et dénicheur, l’Atelier Lyrique de Tourcoing présente d’ailleurs une première mondiale avec l’exhumation et la réorchestration de Aben Hamet, de Théodore Dubois, qui n’avait pas été présenté depuis… 1884 !

Étiez-vous familier de l’œuvre de Dubois ?
Absolument pas. Comme Rameau ou Berlioz, il est mondialement connu pour son traité d’harmonie, mais je ne connaissais que ça de lui.

Comment avez-vous découvert cette œuvre oubliée de Théodore Dubois ?
L’un de ses descendants m’a communiqué une partition sous forme de piano et chant. C’est la réduction indispensable pour lire les œuvres. Ça paraît peu mais, depuis quatre siècles, on fonctionne comme ça.  S’il y avait les orchestres en sus, ce serait trop compliqué à déchiffrer. C’est réducteur, mais cela donne une idée du texte, du livret et de la musique, même si on doit deviner l’instrumentation. J’ai longtemps conservé la partition, sans m’en occuper.

Quel fut le déclic pour vous y remettre ?
Marc Boucher, un chanteur canadien, avait enregistré quelques mélodies d’Aben Hamet – les seules qui soient arrivés jusqu’à nous. Et ce chanteur est également directeur d’un festival à Saint-Lambert, près de Montréal. Un sacré festival : on y joue 40 à 50 concerts en un weekend. J’avais été invité à diriger le Requiem de Mozart sur une place publique. Nous avons alors reparlé de cet opéra.

Comment se fait-il que les partitions d’orchestre aient été perdues ?
Il n’a été joué qu’en 1884, et plus jamais ensuite. Victor Morel, directeur de l’endroit, avait passé  commande à Dubois à condition que ce soit en italien. L’accueil fut bon, mais la pièce eut du mal à être jouée ailleurs. Dubois fit appel à un traducteur, puis s’en est désintéressé.

Etait-ce la première fois que vous réorchestriez une telle œuvre ?
Non, en 2011, j’avais effectué le même travail pour La Boîte à Joujoux, une œuvre inachevée de Debussy. Le problème était le même, mais il est très facile de faire « à la manière de » avec un compositeur qu’on connaît bien. Avec Dubois, ce fut plus « expérimental ».

Comment avez-vous procédé ?
L’héritier m’a montré d’autres partitions de son aïeul, comme Le Paradis Perdu (ndlr.1878). Sa façon d’orchestrer n’est pas différente de ses contemporains comme Massenet, par exemple. C’est un orchestre très complet, avec beaucoup de couleurs, de la harpe, des percussions… C’est une musique qui scintille. C’est le fin du romantisme, une musique pré-moderne.

La période est également à l’exotisme…
Tout à fait. Que ce soit dans l’espace, avec Carmen, comme dans le temps, avec Samson & Dalila de Saint-Saëns. À l’époque, l’orientalisme touche tous les arts : de nombreux peintres, poètes, romanciers, musiciens font le voyage à Alger. Aben Hamet découle de cette curiosité, mais la source littéraire est de Chateaubriand. De plus, Dubois ne verse pas dans l’exotisme musical. À la différence de Saint-Saëns, par exemple, Dubois reste dans le langage occidental. Il y avait seulement un chant de muezzin, que je n’ai pas conservé.

L’avez-vous beaucoup repris ?
L’opéra initial devait durer quatre heures, je l’ai réduit à deux heures et demie. Et j’ai éliminé certains symboles de cet exotisme qui n’avaient pas trop d’intérêt. Comme chez Wagner, on retrouve un leitmotiv pour les personnages. C’est assez rare, pour un opéra de cette époque.

Mais comment savoir le nombre d’instruments à utiliser, par exemple ?
Par l’usage. L’orchestre symphonique est caractérisé. À cette époque, on introduit des sons en percusssions, notamment des timbres clairs (triangle, cymbalettes, timbales, etc.) et ça va perdurer. Ca commence avec Rossini, qui fait des relations avec la musique turque, et utilise plus de cymbales que de peaux, pour avoir un son plus mécanique. C’est un acquis très français  et espagnol, qu’on retrouve peu en Allemagne et Italie. Le paroxysme c’est Debussy, dont le son est  étincelant.

Et à part les percussions ?
La harpe est également très importante. C’était l’instrument favori de Marie-Antoinette. Il y a eu des composition pour musiques de chambres, mais elle arrivé véritablement dans l’orchestre dans le dernier quart du XIXème siècle. C’est un peu exotique, ça rappelle l’antiquité. De même, le saxophone fait son apparition : Massenet et Bizet, notamment dans L’Arlésienne, l’utilisaient beaucoup. Dubois aussi, car les possibilités expressives de cet instruments sont très différentes des autres cuivres.

Quant au texte, avez-vous retrouvé la traduction française de l’époque ?
Oh non, elle était indigente. À l’époque, on écrivait en vers et en alexandrins. Or, pour coller à cette contrainte, le traducteur s’est parfois éloigné du texte original au point de faire des contresens.
Donc on a travaillé le texte pour le « moderniser », même si ce n’est pas le terme adéquat. Et on a enlevé beaucoup de termes à connotation raciste, car vu le climat actuel… Mais à l’époque, ces expressions n’étaient pas considérées comme racistes. Sauf qu’aujourd’hui, les temps ont changé, et on n’a pas voulu mettre d’huile sur le feu.  Ce n’est pas le plus important.

Quel est votre rôle dans le choix des acteurs ?
Je travaille en binôme avec mon épouse depuis toujours. On fait le casting complet. Metteur en scène, éclairagistes, costumiers… Nous avons choisi les chanteurs deux ans avant, car nous avons besoin de beaucoup de répétitions. Il faut donc des gens talentueux ET disponibles. La distribution est jeune et internationale : les comédiens viennent d’Espagne, du Maroc, du Canada… Pour les costumes, Christine Rabot-Pinson a opté pour des tenues semi-historiques, mi-andalouses, mi-maghrébines. Nous évitons la reconstitution.

Et le décor ?
Je suis partisan des plateaux nus, mais Alita Baldi, la metteure en scène, préfère l’abstraction. Ici, nous avons un décor très pentu, sur deux niveaux, de façon à ce que deux intrigues puissent se nouer sur deux plans différents. Par exemple, deux Musulmanes suivent Aben Hamet en cachette : le public les voit, mais pas les comédiens. Le tapis de sol, lui, est également biculturel : andalou et maure à la fois.

Aben Hamet sera-t-il enregistré ?
Oui. Au vu de l’état des maisons de disque, nous allons sans doute nous en occuper nous-mêmes. Mais je veux qu’on l’enregistre pour les médiathèques, par exemple. Je souhaite conserver une trace de cette œuvre. Et l’on donnera la partition si on nous la demande. Le cas s’était déjà présenté avec le Falstaff ossia Le tre burle (1799) de Salieri, le grand rival de Mozart. C’est ce que l’on aime faire dans notre petit laboratoire.

Concert(s)
Aben Hamet
Tourcoing, Théâtre Municipal R. Devos
14.03.2014 à 20h0045/43/35/33/10€
Aben Hamet16.03.2014 à 15h3045/43/35/33/10€
Aben Hamet18.03.2014 à 20h0045/43/35/33/10€
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© Valentin Folliet