Philippe Caubere
On dirait le Sud
« Décrire André Benedetto en quelques mots ? » s’étonne Philippe Caubère. « C’est impossible ». Impossible également de retranscrire en quelques pages son urgence de crier ou son discours passionné et exalté. À travers Urgent ! Crier, spectacle réunissant fragments de textes et de poèmes signés Benedetto, Caubère glorifie sa terre, le Sud, met à sac le théâtre contemporain et multiplie digressions intéressantes et raccourcis étonnants. L’acteur électrique invoque le ressenti plutôt qu’une quelconque science et remet également quelques préjugés à leur place – en douceur, mais fermement.
Qui était André Benedetto ?
C’est un des hommes de théâtre les plus importants du XXe siècle : un homme de troupe, à la fois auteur, acteur, et metteur en scène, à la manière de Molière ou de l’Italien Eduardo De Filippo. Benedetto n’a pas déguisé ses origines ou ses sources d’inspirations pour réussir à Paris. Il est proche de Brecht, avec son regard poétique posé sur la politique, et proche d’Artaud pour sa folie, sa truculence. C’est un vrai saltimbanque politique et rock’n’roll. Mais il n’a rien à voir avec le théâtre contemporain, qui a sombré dans un intellectualisme un peu frelaté, où les metteurs en scène sont des profs de français recyclés.
Quelle est l’origine de cette pièce Urgent ! Crier ?
Je souhaitais rendre hommage à mon premier maître. Et le déclic est venu avec le texte de Benedetto intitulé Jean Vilar acteur-sud. Il raconte que le festival d’Avignon fut créé par un acteur méditerranéen, venu du Mistral, et non par un metteur en scène, un élu ou un technocrate.
Mai 68 tient une place importante dans ce spectacle.
Mai 68 fut une véritable révolution culturelle, littéraire, artistique et politique. Le rock’n’roll et le théâtre sont les deux seules formes d’art qui ont incarné ce moment. Je le montre sur scène à travers les poèmes, les films, les photos, la musique, et je joue des textes qui évoquent le théâtre et le Sud : Vilar, Raimu, Paul Preboist, Artaud ou encore Gilles Sandier. Ce dernier était un critique issu du haut-snobisme parisien, mais était à l’écoute du Sud.
Mais qu’est-ce que le Sud ?
Le Sud, c’est ce pays qui réunissait le bassin méditerranéen, la Provence, le Sud-Est, le Sud-Ouest. La culture européenne vient des troubadours, de l’Occitanie. Les gens qui ont l’accent sont héritiers d’une autre langue, d’une autre pensée qui remontent au Moyen-Âge. Pour être révolutionnaire, il faut plonger dans ses origines, et l’on comprend enfin d’où l’on vient et qui l’on est.
Que pensez-vous du théâtre contemporain ?
Ce n’est plus que de l’intellectualisme, de la performance. Bien sûr, j’exagère. Il faudrait y aller tous les soirs pour être un véritable juge. Mais pour l’instant, je déteste de tout mon être ce que j’en vois ! J’aime la littérature contemporaine, le cinéma contemporain… Mais ce théâtre m’atterre à chaque fois. Je ne dis pas que c’était mieux avant. Tout ce que je sais, c’est que ce n’est pas bien maintenant.
Question mégalo : pensez-vous qu’un jour, un auteur prendre un de vos textes en votre hommage ?
Mais je suis mégalo, donc pas de souci ! Je ne pense pas qu’un acteur reprendra un de mes textes. Mais une troupe, oui. Les rôles sont écrits, c’est tout à fait possible, et je l’ai déjà vu. Je travaille énormément pour la postérité : je n’ai pas d’enfant, enfin pas que je sache… Mes enfants, ce sont mes pièces. Et j’espère que cette histoire que j’ai jouée et racontée, cette jeunesse dans les 70’s, sera racontée par d’autres.