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Le sacre et la plume

© N. Kruma

Georgio fut révélé en 2011 avec la mixtape Une Nuit blanche, des idées noires, imposant un flow mélodique, une prose léchée et une honnêteté désarmante. Dix ans plus tard, le public s’est élargi, les concerts et projets se sont multipliés. Jusqu’au quatrième opus, le mirifique Sacré, suivi de sa réédition, augmentée des 12 nouveaux titres de Ciel enflammé. La plume est plus aiguisée que jamais et les thèmes (la mort, l’amour, la solitude) tranchent avec le tout-venant rap sans rien sacrifier à l’efficacité des refrains. L’occasion rêvée d’en découvrir plus sur un style aux contours subtils…

Il y a dix ans tu sortais le morceau Homme de l’ombre. Comment juges-tu tes débuts ? Je regarde très peu dans le rétroviseur. Rien de tel que le présent pour ressentir intensément chaque chose. Les rares fois où je me surprends à penser au passé, je me trouve très chanceux. Car malgré les difficultés la passion a fini par l’emporter !

Selon toi, lequel de tes morceaux reflète le mieux ton style ? Sans doute Pas de monde imaginaire sur Ciel enflammé. Ce titre est assez complet, tout en nuances. J’y rappe les couplets sans retenue et, en même temps, je chante mon refrain en ménageant la mélodie. C’est le genre de son hybride qui me caractérise. Sur le fond, le texte oscille entre dimension intime et revendication sociale. Ce morceau reste mélancolique, mais développe une énergie positive. C’est le “mood” global de ma musique.

Tu observes le monde avec une certaine mélancolie, n’est-ce pas ? Ça me saoulerait d’être réduit à ce mot fourre-tout. Ma musique dresse différents constats… mais c’est vrai qu’ils ne sont pas toujours positifs (rires) ! Le ciel s’assombrit souvent, et le monde semble bien décidé à partir en vrille… Toutefois, je nous accorde toujours une porte de sortie, une note d’espoir. Mon écriture est assez instinctive. La dernière version d’un morceau est aussi la première. Je retouche très peu.

© N. Kruma

© N. Kruma

Quelle est la signification de Sacré et de Ciel enflammé ? Je considère comme sacré ce moment unique où l’on ouvre les yeux sur ce qui nous entoure. Quand on les lève vers un immense ciel bleu et que le soleil nous aveugle. Ciel enflammé représente la fin de journée, l’instant avant la tombée de la nuit. C’était une manière pour moi de boucler Sacré : après le ciel en feu, la journée s’achève.

Sacré et Ciel enflammé peuvent-ils exister l’un sans l’autre ? Il est vrai que je réserve à mes chansons un ordre bien précis. J’aime cette idée de raconter une histoire à écouter du début à la fin. C’est le cas pour Sacré et Ciel Enflammé. Mais aujourd’hui le public n’a pas forcément le temps d’apprécier dans l’ordre une œuvre musicale. Ces deux albums peuvent donc exister l’un sans l’autre, chaque chanson racontant sa propre histoire.

Le titre Couronne, qui ouvre Ciel enflammé, évoque une certaine indécision, tu y avoues même avoir perdu ta boussole… C’est pour signifier que, dans la vie, rien ne se passe comme prévu. Je ne veux finalement pas d’une couronne. J’ai accompli mon rêve qui est de vivre entièrement de mon art. Chaque heure passée sur scène ou en studio est un régal. Je n’ai pas besoin du reste, ne désire pas être mis sur un piédestal ou devenir le roi. Ce son, c’est une célébration, pas une lamentation !

Il est aussi question de solitude dans le morceau Spirituel Il y a deux types de solitudes. Celle que l’on souhaite et celle que l’on subit. Personnellement, j’aime être seul. J’adore être entouré de mes amis et de ma famille, mais j’ai besoin de cette solitude dans laquelle je m’épanouis, et qui m’inspire. Pour moi, elle n’est pas synonyme de tristesse.

Dans Près du feu, tu chantes : « Mes erreurs j’les porte à merveille, toutes mes défaites sont essentielles ». Plus généralement, referais-tu tout de la même façon ? Non, mais presque (rires) ! Nelson Mandela a dit : « Dans la vie je ne perds jamais, sois je gagne, sois j’apprends ». On se construit aussi grâce aux regrets, aux déceptions ou aux erreurs, autant qu’à travers les joies et les victoires.

Pour cet album, dans quasiment tous les morceaux, on trouve la signature d’un artiste bien connu de la région, le producteur Lucci’… Oui, je l’ai rencontré grâce à Bekar, qui est lui aussi chez NorthFace Records. Ma collaboration avec lui sur le titre 2 gouttes d’eau m’a permis de découvrir l’artiste qui se cachait derrière ses prod’ hyper efficaces : Lucci’. Alors, en juin dernier, je lui ai envoyé un mail pour lui demander de présenter quelques beats. Parmi eux il y avait celui de Couronne. Je lui ai ensuite proposé de venir à Paris pour une session de deux jours. On a enregistré le morceau assez rapidement avant que Sofiane Pamart nous rejoigne pour Quelques amis ça suffit ! On a enchainé avec Célébrer, dont il signe les arrangements, et on a fini avec la première version d’Issue de secours. En tout, je crois qu’on s’est attaqué à quatre sons en moins de 48 heures, c’était dingue, ça fusait ! Une belle relation artistique et amicale s’est installée.

Parlons du “banger” incontestable de l’album, le tonitruant NOONNNN qui semble taillé pour la scène et dont l’esprit rock surprend… C’est exactement pour ça que je l’ai créé ! J’avais vraiment en tête de le crier avec le public. Pour le côté rock, ça fait un bail que j’utilise de la guitare dans mes sons, car je suis sensible à pas mal de styles en dehors du rap. D’ailleurs, le rock anglophone est une de mes inspirations.

Cela doit être jouissif de retrouver la scène, n’est-ce pas ? Carrément, c’est un vrai plaisir de chanter devant des personnes qui nous aiment et de kiffer tous ensemble. Cela procure un sentiment unique. J’ai l’impression d’être entouré de tous les miens. Et puis c’est un aboutissement de présenter ce qu’on a peaufiné durant des heures en studio. Après la phase de création, assez intime, vient celle du partage. J’apprécie autant ces deux étapes. En plus, la saison des festivals approche, ça va être le feu !

Pour finir, toi qui est un fou de littérature, quelle lecture nous conseillerais-tu ? Un Bref instant de splendeur d’Ocean Vuong. C’est une lettre qu’un fils écrit à sa mère analphabète, c’est bouleversant, à la fois dur et beau. La dernière fois que j’ai ressenti quelque chose d’aussi fort c’était au cinéma avec Mes frères et moi, de Yohan Manca, le genre de film devant lequel tu ris autant que tu pleures.

Propos recueillis par Sonia Abassi / Photo : © N. Kruma
Concert(s)
GEORGIO
Lille, Le Splendid
21.05.2022 à 20h0028€

À écouter / Sacré & Ciel enflammé (Panenka)

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