Sebastiaan Bremer
La couleur des sentiments
Peintre ou photographe ? Les deux à la fois. En dessinant toutes sortes de points ou de traits sur des photographies, Sebastiaan Bremer réinterprète la réalité pour en imposer une autre vision, plus poétique. Rencontre avec cet artiste hollandais installé à New-York dont le travail est exposé dans le monde entier.
Quel est votre parcours ?
Je suis né à Amsterdam. J’ai commencé à travailler dans un magasin de bandes dessinées quand j’avais 12 ou 13 ans et c’est là que je me suis forgé une éducation artistique. De fil en aiguille, je me suis mis à peindre. A 21 ans, j’ai déménagé à New-York où je continue à me perfectionner. Je m’entraîne tous les jours en me promenant dans les rues de la ville, un appareil photo à la main car j’aime beaucoup les clichés accidentels. C’est en 1998 que j’ai mis au point une technique permettant de combiner mes dessins ou peintures avec la photographie.
Comment définiriez-vous votre travail ?
Quand je rencontre une personne en soirée et qu’elle me demande ce que je fais dans la vie, je lui réponds : « en gros, je dessine sur des photos. » (rires)
Quelle est votre technique, comment procédez-vous ?
Je commence avec une photo qui fait résonner quelque chose en moi. Après l’avoir observée un long moment, j’interviens dessus. Je peux découper, ajouter des éléments, enlever, effacer… Et tout ceci à la main. Ce qui occasionne pas mal « d’accidents de travail » durant la création (rires). Mais c’est ce que je préfère, j’utilise le moins possible l’ordinateur. Je n’aime pas beaucoup le digital.
Pourquoi ajoutez-vous des points de couleur ?
Je place ces points presque instinctivement. Leur présence signifie mon attachement à l’œuvre initiale. Avec ces points, je reconsidère la réalité, j’ajoute des émotions sur quelque chose de figé, passé.
Comment obtenez-vous ces points ?
De deux façons, tout simplement à l’aide d’un stylo. Parfois, grâce à un couteau très fin que j’utilise pour inciser la surface de la photo et y injecter la couleur voulue. Je choisis des encres qui se marient avec celles de l’image. Ensuite je les répartis. A ce moment là tout s’enchaîne, couleur sur couleur, un peu comme chez Kandinsky.
D’où viennent les photographies que vous utilisez ?
Cela dépend. Je prends la majorité d’entre elles avec un appareil photo 45 mm ou même avec mon iPhone ! J’utilise aussi pas mal de négatifs et de photos de famille. Par exemple : celles prises par l’un de mes oncles qui avait fait le tour du monde. Une fois, j’ai aussi demandé à de grands photographes si je pouvais utiliser leurs images pour les transformer. Ce qui peut être perçu comme un véritable sacrilège, mais c’est très excitant et drôle (rires). J’ai fait comme beaucoup de musiciens aujourd’hui : j’ai samplé !
Certaines de vos œuvres sont très colorées, d’autres plutôt sombres… Comment expliquez-vous ce contraste ?
Ce jeu sur la lumière et l’obscurité est primordial. Mais les images les plus colorées ne sont pas toujours les plus heureuses. Prenons par exemple ma série sur la montagne. Ces photographies sont presque magiques. Elles ont été prises en 1973 par mes parents alors que j’avais 3 ans. Il s’agit de vacances en Suisse avec ma sœur et mon frère tandis qu’on m’avait confié à un proche (rires). Ma famille a l’air si heureuse sur ses photos, alors j’ai décidé d’amplifier cette impression. Mais en fait, la réalité était tout autre…
C’est-à-dire ?
A l’époque, mes parents rencontraient des problèmes conjugaux, ma sœur passait les pires vacances de sa vie et mon frère se sentait franchement mal dans sa peau. Ces images traduisent donc une réalité plus sombre, mais je pense que j’ai réussi à arranger ça. De manière rétroactive, j’ai essayé de changer la donne.
Pouvez-vous nous parler de votre travail sur les fleurs ?
Les images d’origine datent de la Seconde Guerre mondiale. J’ai trouvé ces peintures dans un livre avant de m’installer à New-York. Puis, j’ai longuement cherché ce que je pouvais en faire… jusqu’à l’été dernier, à l’occasion de ma première expo à Amsterdam. Colorer ces images réalisées en temps de guerre était comme un signe de défiance contre la noirceur de cette période. Une autre chose m’a beaucoup intéressé dans ce travail…
Laquelle ?
Les fleurs ou même les tulipes sont reconnues comme un symbole hollandais, mais peu de personnes savent qu’elles viennent généralement de Turquie, d’Afghanistan et d’Afrique. Nos fleurs empruntent le même circuit que les réfugiés… ce qui est assez ironique au regard du débat actuel sur l’immigration et la question de nationalité.
A visiter : sebastiaanbremer.com
A lire : To Joy, Sebastiaan Bremer (Frame Publishers), 34€, www.frameweb.com