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Slow and Furious

© François Denat

Rien ne va plus pour Fabrice Éboué. À 46 ans, l’humoriste se sent complètement dépassé. Notre époque le laisse perplexe… Après avoir (littéralement) dézingué le véganisme dans son film Barbaque, le revoici sur scène pour un cinquième one-man-show intitulé Adieu hier. Toujours aussi corrosif, l’ancien pensionnaire du Jamel Comedy Club y règle ses comptes avec les réseaux sociaux, le militantisme exacerbé, la cancel culture… et plus largement la bêtise humaine. Alors, était-ce vraiment mieux avant ? Réponse…

Quel est le propos de votre spectacle, Adieu hier ? Tout est dit dans le titre, je parle du temps qui passe. J’ai commencé ce métier à 20 ans, aujourd’hui j’en ai presque 46. Forcément, j’en ai vu des changements ! J’évoque aussi le fossé générationnel creusé par la révolution numérique. Il y a ceux qui ont grandi avec et les autres, comme moi, qui essaient de s’adapter. Aujourd’hui, je me sens donc plus proche d’un homme de 90 ans que d’un gamin de 16 ans !

Seriez-vous nostalgique ? Il y a de ça, mais je ne suis pas en train de vous dire que c’était mieux avant ! Notre monde va simplement trop vite. Le jeunisme règne en maître et honnêtement ce n’est pas toujours évident de suivre… Même les présidents sont de plus en plus jeunes ! Prenez Emmanuel Macron, il est né la même année que moi, on était dans le même lycée, à La Providence à Amiens. A cette époque, jamais je ne me serais dit qu’un président aurait un jour mon âge.

D’ailleurs, ne vous a-t-il pas convié à Élysée ? Ce n’est pas la première fois que j’y suis invité. J’ai toujours refusé car je ne voulais pas me mêler de politique. Je me méfie de la récupération. Cette fois, c’était pour le film Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi. Je ne voulais toujours pas y aller mais un pote m’a dit qu’au pire, ça me ferait toujours un sketch. Alors j’ai cédé, et ça m’a permis d’écrire 10 minutes de spectacle !

Parmi les maux de notre époque, vous n’êtes pas tendre avec les réseaux sociaux… Oui, pour moi l’ancêtre du réseau social, c’est le bistrot, un endroit où on donne son avis sur tout, à tort et à travers. Sauf que le bistrot, c’est un réseau social avec des couilles ! On s’y dit les choses en face, dans le blanc des yeux, sans se cacher derrière un pseudo ou un clavier. On s’y emporte et, surtout, on conserve son humanité. Les réseaux sociaux ont aussi amené un effet de masse. Dans les troquets, un platiste rencontrait rarement un autre platiste. Aujourd’hui, une communauté peut se créer sur le net, jusqu’à former un groupe de pensée, une opinion, ce qui est plus dangereux…

Y voyez-vous tout de même des aspects positifs ? Je les utilise peu dans mon métier, néanmoins c’est un outil génial pour se faire connaître. Quand j’ai démarré, il y a plus de vingt ans, il n’y avait pas 2 000 façons d’exister. Il fallait tracter devant son théâtre, coller des affiches et jouer sur les trois pauvres plateaux qui existaient à Paris. La galère… Aujourd’hui, beaucoup de comiques percent sur les réseaux sociaux, avec des vidéos rigolotes. Il ne s’agit pas non plus de devenir “esclave” de ces plateformes. La productivité ne doit pas primer sur l’inspiration. Toute chose a son bon et son mauvais côté. De la même manière mon spectacle n’est pas manichéen, mais comme je joue le “vieux con”, j’ai tendance à souligner les mauvais aspects. C’est de la caricature, et j’aime ça.

La jeune génération serait-elle aussi plus fragile que la vôtre ? Je ne sais pas, mais elle évolue dans un environnement plus cadré que la mienne. J’ai un enfant de huit ans, je sais de quoi je parle. Il y a cette anecdote, où je compare nos manières respectives d’apprendre à rouler à vélo : moi sans casque ni coudières et lui surprotégé, comme dans du papier bulle ! Au-delà de ça, il y a des avertissements partout aujourd’hui, que ce soit sur les jouets ou les cartes des restaurants, jusqu’à aseptiser notre société. La prévention, c’est bien, mais il ne faut pas que cela devienne un diktat, entraîne une restriction des libertés.

Vous abordez également des sujets plus lourds, certains faits divers. N’avez-vous jamais peur de glisser vers le sordide ? C’est vrai, j’évoque l’affaire Daval, la pédophilie au sein de l’Église mais, honnêtement, ce sont des actualités tellement rabâchées dans les médias. Tout le monde s’est largement servi, on a eu droit à des dizaines d’émissions. Mon travail, réseaux sociaux : ce n’est pas parce qu’un groupe compte 5 000 personnes très actives qu’il faut en avoir peur. Cela reste minuscule à l’échelle nationale ou du monde. La preuve, les spectateurs viennent nombreux au théâtre en laissant les polémiques au vestiaire. Ces histoires sont bonnes pour la télé ou les réseaux, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on m’y voit de moins en moins.

Ne craignez-vous pas les attaques de certaines communautés ? C’est aussi l’un des travers des réseaux sociaux : ce n’est pas parce qu’un groupe compte 5 000 personnes très actives qu’il faut en avoir peur. Cela reste minuscule à l’échelle nationale ou du monde. La preuve, les spectateurs viennent nombreux au théâtre en laissant les polémiques au vestiaire. Ces histoires sont bonnes pour la télé ou les réseaux, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on m’y voit de moins en moins.

© François Denat

© François Denat

Vous interdisez-vous certains sujets ? Non, et le seul censeur valable reste le public. Quand vous rodez un spectacle pendant un an dans de toutes petites salles, devant des gens qui ne vous connaissent pas forcément, si vous n’êtes pas drôle la sanction tombe tout de suite. Mais quand vous êtes juste, la salle rit, explose et c’est superbe. C’est d’ailleurs cette immédiateté qui rend le spectacle vivant si exceptionnel.

Vous faisiez partie de la première promotion du Jamel Comedy Club. Quel souvenir gardez-vous de cette période ? C’était une superbe expérience, une colonie de vacances. On bossait sans calcul, pour s’amuser. J’ai retrouvé cette énergie quand on a tourné Case départ avec Thomas Ngijol. Ca faisait déjà un petit moment que j’exerçais ce métier avant d’entrer au Jamel Comedy Club, mais cela m’a offert une énorme visibilité. Sans cette fenêtre, je ne sais pas si j’aurais la même carrière.

Vous verra-t-on un jour dans un film pas du tout humoristique ? J’espère ! Même si je reste un comique dans l’âme, j’aime aussi la réflexion. J’ai toujours cherché à lier les deux. Barbaque représente tout de même une évolution dans mon parcours, j’y cherche moins systématiquement le rire. A l’avenir, j’aimerais réaliser des comédies dramatiques, car la vie est une question d’équilibre.

Propos recueillis par Simon Prouvost // Photo : © François Denat
Informations
Lille, Théâtre Sébastopol

Site internet : http://www.theatre-sebastopol.fr/

16.05.202320h30, 45 > 26€
Saint-Quentin, Le Splendid
13.01.202420h, 45>35€
Bruxelles, Cirque Royal

Site internet : http://www.cirque-royal.org

20.01.202420h, 45 > 35€
Amiens, Mégacité
16.02.202420h, 45 > 35€
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