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À contretemps

Saint-Imier, 1877. Les patrons parlent (déjà) de concurrence et de globalisation, réorganisent le travail, le temps et les salaires pour rester compétitifs. De leur côté les ouvriers et ouvrières tentent de consolider un réseau mondial de solidarité. Spécialisée dans la fabrication d’horloges, la commune suisse devient, sous l’œil de Cyril Schäublin, l’épicentre de notre modernité.

C’est là, dans le Jura bernois, que l’aventurier russe Pierre Kropotkine a basculé du socialisme à l’anarchisme. Si le futur auteur de L’Entraide, un facteur de l’évolution (1902) apparaît bien dans Désordres, le film s’attache avant tout à saisir un environnement social. Usines, rues et tavernes sont montrées en plans souvent larges. Au son se mêlent les paroles, le vent descendant des montagnes et le tic-tac des horloges. Cyril Schäublin cultive aussi des contrepoints comiques au sein du cadre, entre la maréchaussée chargée de remonter les pendules publiques et des militants levant des fonds pour soutenir les cheminots grévistes de Baltimore.

Sur pause

Désordres dépeint avec une précision admirable le travail ouvrier et ses évolutions. Au moment même où le chronométrage, faisant son entrée dans les ateliers, ajoute une pression supplémentaire. Dans un monde où la moindre seconde compte, la photographie exige pour sa part de suspendre le temps. Vingt secondes de pose, rien moins ! Le tirage de portraits ou d’images publicitaires ne cessent ainsi d’interrompre les personnages. Le film s’en amuse tout en rendant sensible cette subversion. Créer des intervalles, des ruptures pour mieux résister à l’homogénéisation du temps par le capitalisme : voilà ce que le cinéma peut faire de plus nécessaire.

Raphaël Nieuwjaer / Photo : © Shellac

De Cyril Schäublin, avec Clara Gostynski, Alexei Evstratov, Monika Stalder… En salle


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