Home Cinéma Olivier Babinet, Benoît Poelvoorde & Justine Lacroix

Entre deux âges

Révélé en 2010 avec Robert Mitchum est mort, et accessoirement réalisateur de la série Le Bidule diffusée sur Canal + à la fin du siècle dernier, Olivier Babinet signe avec Normale son quatrième long-métrage. Adapté de la pièce Le Monstre du couloir, du Britannique David Greig, le film oscille entre le teen movie, le conte fantastique, la comédie et le drame social. L’histoire ? Lucie, 15 ans, vit seule avec son père, atteint de sclérose en plaques. A la maison, c’est elle qui s’occupe de tout et s’évade parfois du quotidien en écrivant un roman, jusqu’à confondre rêve et réalité. Mais la visite d’une assistante sociale pourrait bien fragiliser le foyer. Père et fille vont tout faire pour donner l’apparence d’une “vie normale” afin de ne pas être séparés… Benoît Poelvoorde, touchant dans la peau d’un homme diminué, forme avec la jeune Justine Lacroix, dont c’est le premier grand rôle au cinéma, un duo épatant. Rencontre.

Le film est inspiré d’une pièce de théâtre. Qu’est-ce qui vous a donné envie de porter cette histoire à l’écran ?

Olivier Babinet : Ce sont deux scénaristes qui m’ont fait lire cette pièce. Ils avaient vu Swagger, un documentaire que j’ai tourné avec des adolescents des cités d’Aulnay-sous-Bois, suite à des ateliers de réalisation de courts-métrages. C’est un point commun que nous partageons avec l’auteur de la pièce : lui aussi a organisé des ateliers comparables avec des jeunes soutenant un proche malade. Ils ont énormément de responsabilité sur les épaules. Cette pièce s’inspire donc de l’histoire de ces ados, mais en y injectant de l’humour. Et puis, j’ai été touché par l’amour que partageaient ce père et sa fille. Je me suis un peu identifié au personnage que joue Benoît, se débrouillant comme il peut pour rester un bon père, mais aussi à cette jeune fille qui se raconte des histoires pour supporter le quotidien.

Quelles libertés avez-vous prises avec l’histoire originale ?

O.B. : D’abord, le lieu du tournage. Je voulais qu’il ressemble à mon adolescence, en province, quand on fait le mur à 15 ans, qu’on se promène dans des rues désertes, achète des bières à la station-service du coin…. La ville de Chelles correspond bien à cette vision, avec ses espaces vides entre les zones pavillonnaires, ses grands pylônes… J’ai également agrémenté l’histoire de mes expériences personnelles.

L’adolescence est un thème qui vous tient particulièrement à cœur, n’est-ce pas ?

O.B. : J’ai tourné Swagger à l’époque des attentats de Charlie Hebdo. Les journaux français noircissaient alors l’image des cités. Moi je menais ces ateliers dans ce collège avec tous ces gamins et je ne comprenais pas cette haine grandissante. Le fait de les côtoyer me renvoyait à ma propre adolescence. J’ai des souvenirs très précis de cette période. Je trouve que cet “âge ingrat”, comme on dit, est passionnant. On est encore un enfant quand on arrive en sixième, et lorsqu’on ressort du collège on a de la moustache !

Benoît Poelvoorde : Les adultes ont tendance à fantasmer l’adolescence, à l’enjoliver. Mais mieux ne valait pas me fréquenter à cet âge ! C’est justement ce qui fait tout le charme du personnage joué par Justine : elle aurait pu être emmerdante, mais elle s’échappe d’un monde glauque grâce à son imaginaire, plutôt que de monter un groupe de rock dégueulasse comme la plupart des jeunes (rires).

© Haut et court

Comment avez-vous choisi Justine Lacroix ?

O.B. : Ce fut compliqué. J’ai effectué des essais avec plusieurs comédiennes, car les producteurs n’étaient pas tous d’accord. Beaucoup d’adolescentes n’avaient jamais fait de cinéma, on a casté sur Instagram, TikTok, dans la rue… Et puis Justine est arrivée, sa manière de dire “papa” m’a énormément émue, j’en ai eu la chair de poule.

Et vous Justine, comment avez-vous vécu ce casting ?

Justine Lacroix : On ne sait jamais si on va être rappelée, ça dépend tellement peu de nous. Je suis loin d’être quelqu’un d’important, juste une ado parmi tant d’autres. Mais à la fin du casting, après avoir joué une scène ensemble, Benoît m’a fait un câlin et m’a dit : “j’aimerais bien que tu sois ma fille”. Ça m’a beaucoup touchée.

D’ailleurs, il paraît que vous ne le connaissiez pas avant le tournage…

J.L. : C’est vrai, je ne le connaissais pas du tout, mais mon père oui. Dans la famille, on s’intéresse très peu au cinéma français. Deux jours avant le casting, on a quand même regardé un de ses films, Rien à déclarer…

B.P. : Dis donc, ç’était si pénible que ça ? (rires)

Qu’est-ce que ça vous a fait, Benoît, de passer pour un “inconnu” auprès de Justine ?

B.P. : Ça ne m’a pas gêné, bien au contraire. Je suis parfois connu comme le type avec qui tu ne pourras jamais en placer une, ce qui est souvent le cas (rires). Je peux effrayer certaines personnes quand elles arrivent sur un plateau, parce qu’elles craignent mon côté “dissipé
“, ce qui est aussi exact. Mais Justine n’en a jamais souffert. Elle s’est même amusée avec moi. Nous chantions beaucoup, principalement des chansons remplies de grossièretés. J’adore en balancer sur un plateau, ça détend tout le monde.

La complicité fut donc évidente ?

O.B. : Justine pouvait se marrer des blagues les plus grivoises de Benoît. Elle n’avait pas froid aux yeux, et cela correspondait à la relation père-fille qu’on recherchait. Le personnage du père a un humour noir qu’il fallait supporter.

Y-a-t-il eu une part d’improvisation durant le tournage ?

B.P. : Non, Olivier nous a laissé improvisé une seule fois, lorsqu’on mangeait des pizzas devant un film d’horreur. Tant mieux d’ailleurs, car pour moi il n’y a rien de pire qu’un réalisateur qui te dit : « tu mets la scène à ta sauce ». Olivier savait très bien ce qu’il faisait. Parfois, on a même retiré des mots du texte. Ça ne sert à rien d’en rajouter quand c’est bien écrit.

Certains plans du film évoquent par moment Wes Anderson. Est-ce une de vos inspirations ?

O.B. : J’aime beaucoup le travail de Wes Anderson mais ne m’en suis pas inspiré. J’ai plutôt puisé dans la série Fargo, pour les mouvements de caméra. D’ailleurs, j’ai eu droit à une grue pour la première fois ! J’ai eu plus de moyens et de temps pour réaliser des plans qui me tenaient à cœur. Je me suis aussi inspiré de Better Call Saul et de films comme Donnie Darko, It Follows, Ghost World… Par contre, l’accessoiriste du film est bien celui de Wes Anderson.

B.P. : Justement, cet accessoiriste, je l’ai trouvé vraiment mauvais, et je vais vous le prouver ! Dans une scène qui n’a pas été gardée, je suis censé utiliser une râpe, alors que je suis aveugle. Je lui demande donc de me changer la râpe, car ne suis pas censé voir mes mains, mais il ne l’a pas fait et je me suis coupé. J’en garde encore une belle cicatrice aujourd’hui. Ce fut un tournage indélébile, en somme (rires).

Propos recueillis par Simon Prouvost / Photo © Haut et court

Normale

D’Olivier Babinet, avec Benoît Poelvoorde, Justine Lacroix, Steve Tientcheu… Sortie le 05.04


Articles similaires
(c) Michael Crotto / Gaumont