Home Cinéma Jeanne Herry, Leïla Bekhti et Élodie Bouchez

La parole libérée

Photo © Christophe Brachet

Après le succès de Pupille en 2018, Jeanne Herry se lance un nouveau défi. Dans Je verrai toujours vos visages, elle s’intéresse à la justice restaurative. Née en France en 2014, cette pratique favorise un dialogue entre victimes et auteurs d’infractions (concernés par la même affaire ou non). Entre écoute, monologues et huis clos, ces personnages en quête de reconstruction démêlent, sans manichéisme, de lourds chocs psychologiques. Rencontre avec une cinéaste inspirée et deux illustres actrices : Leïla Bekhti et Élodie Bouchez.

Pourquoi s’intéresser à la justice restaurative ?

Jeanne Herry : Passionnée par les sujets liés à la justice, je comptais d’abord m’intéresser à un procès. Soit le terrain idéal pour le jeu et la mise en scène. Mais, en me documentant, je suis tombée sur un podcast à propos de la justice restaurative. Trois minutes d’écoute ont suffi à me convaincre. Ce thème suppose des personnages complexes et des scènes aux enjeux très forts.

Avez-vous participé à des séances entre victimes et détenus pour préparer ce film ?

J.H. : Non, ces rencontres ne sont pas accessibles, pour préserver la sécurité des participants. Et puis ce sont des moments intenses, chargés d’émotion, donc je ne suis pas sûre qu’un visiteur serait le bienvenu.

Alors, comment vous êtes-vous documentée ?

J.H. : J’ai accumulé de nombreux récits et témoignages. J’ai aussi participé à des formations de médiateur dédiées à la justice restaurative. Dans certains modules, il est question de jeux de rôles durant lesquels on incarne des auteurs et des victimes.

Vous réunissez ici un sacré casting. Aviez-vous déjà des noms en tête au moment de l’écriture ?

J.H. : Oui, pour certains personnages. C’est le cas des rôles incarnés par Élodie Bouchez et Leïla Bekhti. J’avais également écrit en pensant à Gilles Lellouche, Miou Miou, Birane Ba et Suliane Brahim. Pour moi, ce sont des boussoles. C’est très agréable d’écrire en pensant aux acteurs, car ça donne une voix et un visage aux personnages. C’est drôle, parce que les deux rôles les plus développés du film, que sont Chloé (Adèle Exarchopoulos) et Nassim (Dali Benssalah), n’ont pas eu d’interprètes pendant longtemps. J’ai rencontré Dali très tard, et Adèle s’est imposée au fil de l’écriture.

S’agit-il d’un film sur le pardon ?

Leïla Bekhti : Il appartient à chacun de pardonner ou pas. Pour moi c’est d’abord un film sur la réparation. Que ça soit pour les victimes ou les agresseurs.

J.H. : Les agresseurs n’ont pas conscience qu’ils participent à ces séances aussi pour eux. Progressivement, ils se rendent compte que les victimes peuvent leur apporter quelque chose. On assiste parfois à des demandes de pardon, mais ce n’est pas le but de la démarche. L’objectif premier est de réparer, et parfois ça passe par la haine.

Pourquoi y a-t-il si peu de scènes extérieures ?

J.H. : Selon moi, mettre en scène le braquage de la supérette, les agressions sexuelles ou le vol à la tire était hors-sujet. Pour soutenir des scènes “d’action psychologique”, la tension passe mieux par le verbe. Dans ces séances, parler est un geste fort. Il demande du courage. Comme écouter d’ailleurs.

Élodie, Leïla, comment vous êtes-vous appropriées les personnages ?

Élodie Bouchez : Pendant le tournage, des professionnels de la justice restaurative nous ont rendu visite. Les échanges furent passionnants. Cela dit, Jeanne ne nous a pas suggéré ces rencontres. On sait tous qu’elle se passionne et se documente suffisamment sur le sujet, ne serait-ce qu’à la lecture du scénario.

L.B. : Je n’ai pas rencontré de victimes pour ma part. À vrai dire, même si j’en avais eu l’occasion, j’aurais trouvé ça indécent. Pour préparer le personnage de Nawell, il importait à Jeanne qu’on apprenne nos monologues à la virgule près (rires) ! Nous avons aussi beaucoup joué l’écoute. Durant de nombreux jours, nous ne parlions pas. C’était une expérience bouleversante.

Photo © Christophe Brachet

Photo © Christophe Brachet

Élodie, vous formez avec Adèle Exarchopoulos un duo assez intense. Aviez-vous déjà joué ensemble ?

E.B. : Non, et on s’était d’ailleurs rarement croisées. Par contre, on partage une expérience très forte : la collaboration avec Abdellatif Kechiche : La vie d’Adèle pour elle, La Faute à Voltaire pour moi. J’étais donc très heureuse à l’idée de jouer avec elle car nous étions, quelque part, déjà unies par ce lien.

Quelle étape préférez-vous dans la fabrication d’un film ?

J.H. : D’abord, la solitude durant l’écriture du scénario me plaît énormément. Puis, je suis ravie de retrouver le plateau de tournage et tout ce beau monde. Enfin, lors du montage, il y a toujours une phase dépressive, suite à l’euphorie procurée par le travail collectif. Mais c’est une étape passionnante. Et puis la promo, évidemment (rires) !

Propos recueillis par Simon Prouvost // Photos © Christophe Brachet

Je verrai toujours vos visages

De Jeanne Herry, avec Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti, Élodie Bouchez, Gilles Lellouche, Fred Testot… Sortie le 29.03

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