Home Best of Interview Pierre-Emmanuel Barré

Trash test

© Eric Canto

Il est la preuve vivante que l’on peut encore rire de tout. Avec Pfff…, titre de son dernier spectacle, Pierre-Emmanuel Barré place le curseur très haut question irrévérence. Tant mieux ! Au fil de cette conférence un poil décalée, le Breton règle ses comptes avec un monde aussi inspirant que désespérant. De la crise climatique aux inégalités entre les sexes, en passant par les violences policières, il n’épargne rien ni personne (surtout pas lui) avec des saillies acérées, parfois outrancières mais ô combien percutantes. Rencontre avec un anarchiste de la gaudriole.

D’abord, pourquoi ce spectacle s’appelle-t-il Pfff… ? C’est ce que les spectateurs se disent en sortant de la salle. Je n’aime pas prendre le public en traître. Au début, je voulais même l’appeler On ne rembourse pas, mais c’était vraiment se tirer une balle dans le pied, fallait garder un peu de mystère… En réalité, les gens sortent de la salle en se disant que c’est la meilleure chose qu’ils aient vu depuis Nicolas Sarkozy en garde à vue. C’est juste que je suis mauvais pour trouver des titres. Mon précédent spectacle s’appelait Nouveau spectacle, c’est vous dire.

Quelle est la forme ? Que verra-t-on sur scène ? C’est une conférence ayant pour modeste objectif que les gens repartent moins cons et que je reparte plus riche. Pour l’instant, ça marche pour moi. Pour ces trois dernières représentations, ce sera un format un peu particulier. J’ai invité des copains talentueux et drôles, comme Aymeric Lompret, GiedRé et Benjamin Tranié, mais aussi des copains tout court, comme Guillaume Meurice.

Pourquoi ce choix de la conférence ? Déjà, ça me permet d’avoir l’air intelligent, et c’est une occasion qui se présente assez rarement dans ma vie, il fallait sauter dessus. Et puis c’est un format très marrant à jouer, c’est plus théâtral que le stand-up, laissant place à l’humour visuel, et j’adore ça. C’est le premier spectacle qui va me manquer quand j’arrêterais de le jouer. J’aurais pu continuer trois ou quatre ans de plus en changeant le titre pour On ne rembourse pas, faire semblant que c’est un nouveau spectacle, mais je vous l’ai dit, je n’aime pas prendre les gens en traître.

Est-ce un prolongement de la conférence TEDx que vous aviez donnée en 2016 ? Wow, vous êtes de fins connaisseurs de ma carrière humoristique ! Effectivement, c’était une expérience assez intéressante. Je voulais me foutre un peu de leur gueule, parce que le concept est vraiment très macroniste et bien-pensant. Les conférences TEDx, c’est vraiment “si on veut, on peut”. La sociologie, ils s’en foutent. C’est de droite, TEDx. Alors je me suis acheté un costume comme Gabriel Attal et je me suis dit : « Moi aussi, je vais faire ma conférence ».

Quels sujets abordez-vous ? Il n’y a pas vraiment de fil conducteur, j’aborde plein de thèmes comme le chômage, l’égalité hommes-femmes, le dérèglement climatique, mais aussi l’orgasme prostatique et les bâtonnets de colin du capitaine Igloo. Rassurez-vous, les deux derniers sujets ne sont pas liés, on ne joue pas avec la nourriture.

Pandémie, guerre, crise écologique… N’est-ce pas une époque formidable pour les humoristes ? Ça fait des bons sujets, c’est vrai, mais quand 90 % de la population sera à découvert à la fin du mois, la priorité ne sera pas d’aller rigoler dans les salles de spectacles. En 1940, il y avait des bonnes blagues à faire, mais je ne suis pas certain que ce fut une période très faste pour les humoristes. Et puis il arrive un moment où trop de choses vont mal, les gens n’ont plus envie de rire du tout. Si je me fais larguer juste après avoir appris que ma maison est saisie et que mon fils a une leucémie, si un mec arrive en criant « Eh ! Qu’est-ce qu’il fait un chat à la salle de sport ? Des abdominous ! Hahaha ! », je ne suis pas sûr de ne pas le tarter.

Quoi qu’il en soit, la crise du Covid vous a été plutôt bénéfique. Votre Journal du confinement fut très suivi durant cette période, n’est-ce pas ? Oui, c’était très particulier comme période, tout le monde vivait la même chose en même temps, donc forcément, ça crée une émulation autour du sujet. C’était très marrant à faire, mais super fatiguant. C’est compliqué de sortir trois minutes marrantes par jour, pendant deux mois. Quand j’ai réalisé tout un épisode avec une branche de tilleul entre les fesses, je me suis dit : « Ouh-là, je commence à fatiguer »… Avec mon coauteur, Arsen, on était à deux doigts du burnout, mais on est super fiers du résultat.

Pour vous, la grande question ne serait donc pas : « quelle planète va-t-on laisser à nos enfants ? », mais plutôt : « doit-on laisser des enfants à notre planète ? »… Votre humour deviendrait-il de plus en plus noir à mesure que notre avenir s’obscurcit ? Non, parce que je ne suis pas spécialement inquiet pour l’avenir. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. J’ai bien conscience qu’à plus ou moins court terme, l’humanité est foutue, mais est-ce vraiment un mal ? On s’autodétruit comme des crétins en se gâchant la vie au travail pour acheter le dernier iPhone et l’utiliser pour supprimer nos interactions sociales… C’est donc un peu prétentieux de penser qu’il faut absolument sauver l’espèce humaine.

Seriez-vous toujours “un sale con”, comme l’annonçait votre premier spectacle ? Vous voyez que je suis nul en titre, dix ans après le premier spectacle, on continue à en profiter pour m’insulter. Heureusement qu’il ne s’appelait pas “Pierre-Emmanuel Barré suce pour deux euros”, vous imaginez comme ma vie serait un enfer ?

Certains jugent votre humour “grossier”. Que répondez-vous à ça ? Est-ce une réponse à la vulgarité du monde ? Je vous répondrais bien que oui, c’est une réponse à la vulgarité du monde, pour avoir l’air torturé et passer pour un artiste écorché vif. Mais en fait, c’est juste que, parfois, c’est très marrant les blagues de bite.

D’ailleurs, comment définiriez-vous votre humour, votre style ? J’essaye de ne pas m’enfermer dans des cases, parce que c’est super difficile d’en changer. Avant, j’étais ” le mec de Canal+ “, puis “celui dit du mal de Manuel Valls sur France Inter”. Maintenant, je suis “le gars du journal de confinement “… C’est un peu gênant, car les gens s’attendent à quelque chose en venant dans la salle, et ils sont déçus si je tente des trucs différents. J’essaie donc de me renouveler en permanence, pour que le public reste ouvert à d’autres propositions.

Finalement, ne seriez-vous pas la preuve, contrairement à ce que l’on peut entendre à longueur de journée, que l’on peut encore rire de tout ? Honnêtement, je pense que j’ai entendu cette question 7863 fois cette année. Ce n’est pas contre vous, hein, mais apparemment il existe une règle tacite entre journalistes et vous êtes obligés de la poser. Mais je trouve bizarre qu’on dise ça, parce que je n’ai pas du tout l’impression qu’on puisse dire moins de choses qu’avant. Il suffit d’allumer CNews ou de regarder Hanouna (ne le faites pas) pour voir qu’on peut dire n’importe quelle merde qui nous passe par la tête sans aucune conséquence.

Sinon, rien à voir, mais vous confond-on encore avec Laurent Wauquiez ? Non, en revanche, un jour un type m’a arrêté dans la rue et m’a demandé : « Vous êtes Pierre-Emmanuel Barré ou Guillaume Meurice ? ». Je lui ai répondu « Pierre-Emmanuel Barré ». Alors il m’a dit : « Est-ce que vous pourriez dire à Guillaume Meurice que j’adore ce qu’il fait ? »… Merci la vie.

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : © Eric Canto
Informations
Lille, Le Zénith
14.01.202320h, 45 > 32€
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