Home Cinéma Omar Sy & Mathieu Vadepied

Francs-tireurs

© Marie-Clemence David / Light Motiv

Durant la Première Guerre mondiale, près de 200 000 Sénégalais ont combattu sous le drapeau français, mais furent vite oubliés par les livres d’histoire. En 1998 disparaissait le dernier d’entre eux, dans l’anonymat… Mathieu Vadepied leur rend hommage à travers le poignant Tirailleurs, avec dans le rôle phare Omar Sy. L’interprète de Lupin campe ici Bakary Diallo, un Sénégalais qui s’engage volontairement dans l’armée française, en 1917, pour retrouver son fils Thierno, qui a lui été enrôlé de force. Mais au fil des combats, ce dernier commence à gagner en estime et à s’affranchir, tandis que son père ne pense qu’à le ramener vivant chez eux… Entretien avec deux francs-tireurs du cinéma.

Comment ce projet est-il né ?

Mathieu Vadepied : Tout est parti d’une question. Et si le soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? Cette interrogation me suit depuis mes 18 ans…

Omar Sy : Mathieu était chef opérateur sur Intouchables, et un jour à la cantine on discute de son envie d’être réalisateur et de son idée. Il me parle alors d’un article lu dans Le Monde consacré au dernier tirailleur de la Première Guerre mondiale, Abdoulaye Ndiaye… mort la veille de recevoir la légion d’honneur promise par le président français. Puis, il me pose cette fameuse question. On a ainsi réfléchi à ce film durant dix ans, jusqu’à le présenter aujourd’hui.

Le sujet n’a jamais été vraiment abordé au cinéma. Est-ce que cela a constitué une motivation supplémentaire ?

Omar Sy : Oui ça a été un moteur, en tout cas pour moi. Je n’avais moi-même jamais imaginé que le soldat inconnu puisse être un tirailleur sénégalais. Sans doute, par manque d’information et l’effacement de cette population de notre mémoire collective. Tourner ce film était donc nécessaire.

L’écriture du scénario aura duré dix ans. Pourquoi si longtemps ?

Omar Sy : Parce que Mathieu ne savait pas écrire, il était analphabète (rires) !

Mathieu Vadepied : Blague à part, c’était très compliqué car on ne trouve pas de témoignages directs de ces tirailleurs. On ne savait pas comment adopter le meilleur point de vue pour cette histoire. Nous avons donc exploré des tas de pistes. Cette maturation était indispensable pour écrire un film juste, ni revanchard ni donneur de leçons. Nous voulions toucher les coeurs, plus que les têtes.

Omar, le rôle de Bakary vous touche-t-il à titre personnel ?

Omar Sy : Je suis assez extraverti et bavard. Le fait de jouer en peul, qui est ma langue maternelle, révèle chez moi quelque chose de très intime et que je n’avais jamais exprimé auparavant. Elle contient toute mon éducation, cette discrétion, ce calme… Le français ne m’aurait pas permis de dévoiler cette facette.

Mathieu Vadepied : Oui, Bakary n’est pas un personnage expansif, il intériorise beaucoup. Il observe en silence, n’a pas les codes et ne comprend pas tout. Il voit son fils s’éloigner et prendre l’avantage car il parle français.

© Marie-Clemence David / Light Motiv

© Marie-Clemence David / Light Motiv

Quel fut votre parti pris concernant la réalisation ?

Mathieu Vadepied : Je voulais être au plus près des personnages, pour appréhender leur environnement, sur le plan humain, la perception des autres, les décors… Notre approche très immersive et la bande son traduisent aussi la rudesse à laquelle ces hommes étaient confrontés.

En réhabilitant les tirailleurs, ce film met en lumière de remarquables acteurs noirs. Était-ce aussi un objectif de ce film ?

Omar Sy : Ce n’est pas la première chose à laquelle on a pensé. Mais une fois sur le plateau, avec tous ces acteurs noirs autour de nous, je me suis rendu compte de la portée du film, et c’est une bonne sensation.

 Y-a-t-il eu un temps de préparation important avant le tournage ?

Mathieu Vadepied : On a choisi de tourner assez vite. Au début, ça a été très compliqué pour moi. C’était tellement énorme, et je me demandais comment j’allais avoir le temps d’entraîner tous ces acteurs. Par exemple, les figurants sont de jeunes gens “castés” sur place. Il fallait trouver des rôles à des personnes qui n’avaient jamais joué de leur vie ! Mais aussi les former au maniement d’une arme, leur apprendre à jouer des scènes de guerre sur un champ de bataille… Ce fut ardu, mais ils m’ont beaucoup touché, car ils avaient tous des histoires sur leurs ancêtres à raconter, ce qui les a grandement motivés.

Omar Sy : Oui, c’était super difficile pour Mathieu. Il a attendu des années pour tourner cette histoire et d’un coup, il a le feu vert ! Donc il a flippé. On avait peu de temps devant nous mais cela a participé au résultat final. Cette urgence se retrouve dans le film.

© Marie-Clemence David / Light Motiv

© Marie-Clemence David / Light Motiv

Pouvez-vous nous parler de ce jeune comédien, Alassane Diong ?

Omar Sy : C’est mon neveu. J’étais un peu la figure paternelle de ce gamin, qui a une histoire particulière. Je suis très fier du travail et de l’implication qu’il a fourni pour ce film. Il a énormément travaillé et le résultat est formidable. C’est un acteur prometteur.

C’est assez étonnant de voir Gaumont produire un film comme Tirailleurs. De plus, Omar, vous vous êtes beaucoup impliqué ici…

Omar Sy : Oui, je suis aussi producteur du film. En fait, j’ai un lien particulier avec Gaumont. On a tourné Intouchables ensemble et ils m’ont suivi sur Chocolat, qui n’était pas un film simple. Certes Gaumont recherche l’audience, mais dans l’ensemble c’est une maison assez courageuse, plus que d’autres.

Mathieu Vadepied : Gaumont nous a accompagné tout en laissant une forme de liberté au projet. Il n’y avait rien d’imposé ni de droit de regard. Et puis cette maison a quand même produit des films de Maurice Pialat, ce qui n’est pas rien…

Propos recueillis par Camille Baton / Photos © Marie-Clemence David / Light Motiv

Tirailleurs

De Mathieu Vadepied, avec Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet… Sortie le 04.01

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(c) Michael Crotto / Gaumont