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Force de la nature

Bemuse, série Fractured, Finlande (c) David Popa

David Popa a plutôt été à bonne école : son père n’est autre qu’Albert Popa, l’un des premiers graffeurs à sévir à New York, dans les années 1970. Cet Américain désormais installé en Finlande a toutefois développé un style bien singulier. Réalisées avec des produits naturels sur des sols rocheux, au milieu des vignes ou sur la glace, ses peintures monumentales conjuguent street art et land art avec maestria. Rencontre.

Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ? Je suis originaire de New York et vis en Finlande depuis huit ans avec ma femme et mes deux enfants. Mon père est aussi artiste et m’a enseigné dès mon plus jeune âge les bases de la peinture et du dessin. Cependant, ma véritable passion pour ce métier a débuté lorsque j’ai découvert le street art. Puis j’ai développé cette pratique pour l’adapter dans un contexte naturel, voilà près de quatre ans.

Comment l’idée de créer ces fresques monumentales est-elle née ? J’ai commencé par de petits essais sur des rochers, m’appuyant sur ma capacité à peindre à grande échelle dans la rue. L’avènement de la technologie des drones m’a ensuite permis de découvrir d’incroyables formes abstraites et textures vues du ciel. Je savais que l’association de ces deux éléments donnerait quelque chose de spécial.

Quel type de peinture utilisez-vous ? C’était vraiment difficile au départ de trouver la façon aborder ce genre de travail de manière totalement naturelle. J’ai essayé toutes sortes de mélanges pour créer une peinture qui se lierait à la surface tout en la pulvériserant. En fin de compte, la solution était beaucoup plus simple, j’ai abandonné l’idée que mon travail devait avoir une quelconque permanence. En fait, la beauté de l’œuvre réside dans sa nature éphémère. Tout ce qui me restait à faire était de regarder un peu en arrière : je me suis inspiré des matériaux utilisés pour l’exécution de peintures rupestres, dans les grottes, tels que la craie, le charbon de bois et les pigments de terre mélangés avec de l’eau, sur place. Cette technique m’a permis de créer des œuvres dans des endroits extrêmes.

Avez-vous recours aux drones durant l’exécution de vos travaux ? Oui. Je prends d’abord une photographie en hauteur du paysage et utilise les formes et les textures pour me guider dans les proportions, ou alors je place quelques marques au départ pour me situer lorsque je commence à peindre. Ensuite, j’utilise le drone à la fin du travail, pour corriger les problèmes et, bien sûr, réaliser les photos et vidéos finales.

Comment choisissez-vous les terrains sur lesquels vous intervenez ? Je recherche des lieux riches en textures variées et aux formes dynamiques. Cependant, la plupart des décisions concernant l’emplacement est assez intuitive et je change souvent d’avis à la dernière minute. Je vois mon processus comme l’exhumation de quelque chose qui a été enterré il y a longtemps, et qui attend d’être découvert.

Pouvez-vous nous parler de cette immense fresque peinte au cœur d’un vignoble du Médoc ? Le projet Power of the Earth est une collaboration avec le Château Cantenac Brown, initiée par mon agence artistique Mtart. Ici, j’ai utilisé la lie du vin restant du dernier millésime pour peindre les raisins. Pour l’anecdote, ma grand-mère est née dans la région de Bordeaux, et c’est la première fois que je me rendais dans le Médoc.

Le Pouvoir de la Terre, Château Cantenac-Brown, Médoc, France

Le Pouvoir de la Terre, Château Cantenac-Brown, Médoc, France

Pourriez-vous également évoquer cette série de visages réalisés sur la glace ? En Finlande, la glace est constamment en mouvement, et se fracture pendant les jours plus chauds. J’ai visité cet endroit un jour avec ma famille et fait voler le drone. La beauté de ces paysages m’a alors stupéfait.

Quelle fut la méthode ici ? Pour les petits morceaux de glace, j’ai simplement trempé mon pinceau dans du charbon de bois en poudre que j’ai broyé moi-même. Pour les plus gros blocs, j’ai utilisé du charbon de bois et de la terre mélangés à de l’eau pour les pulvériser directement sur la glace et la neige.

Mirage, série Fractured © David Popa

Mirage, série Fractured © David Popa

Quelle idée avez-vous voulu exprimer à travers ces œuvres ? S’agissait-il d’évoquer le péril climatique et la responsabilité de l’Homme dans la dégradation de notre environnement ? Pour être honnête, ce n’était pas mon intention. J’ai envisagé ces portraits se brisant en morceaux comme le symbole d’une humanité fracturée. Le conflit en Ukraine venait juste de commencer lors de la création de la série, ce qui l’a certainement influencée. Mais cette idée se retrouve bien sûr dans de nombreuses facettes de la société, y compris la façon dont nous traitons la nature.

Quels sont vos projets ? Je viens de réaliser le premier épisode d’une nouvelle série documentaire intitulée Artist in the Wild, dans laquelle je m’intéresse à l’histoire de la création artistique en pleine nature. J’espère utiliser de plus en plus la vidéo pour partager mon travail.

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : Bemuse, série Fractured, Finlande (c) David Popa
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