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Tournoi Interbar WIG, 2019, MELT Toulouse © Women in games

Le jeu vidéo s’est imposé comme la première industrie culturelle au monde, mais pas la plus paritaire. Contrairement aux idées reçues, les hommes ne représentent pas l’écrasante majorité des gamers. Si la gent féminine fait bien jeu égal manette en main, elle reste largement sous-représentée dans les studios. Depuis cinq ans, l’association Women in Games oeuvre pour davantage de mixité dans le secteur. On démarre une nouvelle partie avec sa vice-présidente, Harmonie Freyburger. 

Qu’est-ce que Women in Games ? Une association professionnelle créée en 2017 par Audrey Leprince et Julie Chalmette, travaillant toutes deux dans le milieu du jeu vidéo et déplorant la faible représentativité des femmes dans cette industrie. Women in Games regroupe aujourd’hui 150 membres. On accueille bien sûr les hommes, considérant qu’on ne peut pas changer les choses en se privant de la moitié de l’humanité !

Harmonie Freyburger (c) Aude Freyburger

Harmonie Freyburger (c) Aude Freyburger

Quel constat dressez-vous ? Selon des études réalisées, notamment, par les syndicats SNJV* et SELL**, on recensait en France 22 % de femmes dans les studios en 2021, contre 14% en 2019 et 10,6% en 2014. Il y a donc une progression, mais c’est encore trop faible. Notre objectif est de doubler leur présence d’ici 2027.

En comparaison, qu’en est-il du nombre de joueuses ? C’est bien simple, dans le monde, un joueur sur deux est une femme, soit un milliard et demi de gameuses ! On observe donc une grande différence entre les personnes qui utilisent ce média et celles qui le fabriquent. Dès lors, comment concevoir des histoires représentatives ?

Concrètement, comment ce manque de mixité se traduit-il ? Eh bien la majorité des personnages que l’on peut incarner dans les jeux sont des hommes, les femmes n’ayant généralement pas d’histoire à part entière, ni de compétences. Elles sont rarement “jouables”. On dénonce aussi des lacunes au niveau de la diversité ethnique ou des communautés LGBT. L’autre conséquence de cette inégalité réside dans la représentation d’héroïnes stéréotypées, hypersexualisées, dénudées…En gros, le héros du jeu vidéo, c’est surtout un homme blanc, âgé de 20 à 40 ans, souvent très musclé et à qui il arrive des aventures incroyables. Un cliché de la masculinité, finalement. Évidemment, ça n’empêche pas les filles de jouer avec ce type d’avatar, mais l’expérience serait tout de même plus agréable si l’on pouvait s’identifier à quelqu’un de notre genre…

Événement Wig esport Lyon 2020 Niceuu © Michal Konkol

Événement Wig esport Lyon 2020
Niceuu © Michal Konkol

Le jeu vidéo serait-il abusivement perçu comme un milieu d’hommes ? En effet, on le considère comme un truc de garçons. On les imagine s’amuser entre eux dans le salon autour de la télé ou durant des heures à des jeux de guerre. Or, les filles font la même chose ! Surtout, elles se mettent des barrières au moment de choisir une formation, un métier. Les créatrices de jeux vidéo n’étant pas mises en avant, elles ne se projettent pas. Elles se heurtent aussi à un autre cliché : les étudiantes sont sous-représentées dans les filières scientifiques et techniques, indispensables dans ces métiers, notamment pour la programmation. Aujourd’hui, seulement 26% de jeunes femmes sortent des écoles de jeux vidéo.

Cette représentation évolue-t-elle ? Oui, on note une belle amélioration ces trois dernières années. En 2019, seulement 5% des jeux annoncés lors de l’E3, l’un des plus grands salons du genre au monde, présentaient une héroïne. Ce chiffre a atteint 18% en 2020. Les choses évoluent lentement, mais rappelons qu’il faut du temps pour créer un jeu vidéo, jusqu’à cinq ans. Parmi ces titres, on peut citer la série Horizon Zero Down qui met en scène une guerrière aux longs cheveux roux, ou encore The Last of Us Part II, le premier blockbuster dont le personnage central, Ellie, est une femme puissante et homosexuelle.

De quelle façon luttez-vous pour atteindre la parité ? À travers la communication, en sensibilisant les studios. Nous accompagnons aussi le développement de carrière des jeunes femmes et agissons dès l’orientation, pour les encourager à choisir ce métier. Pour cela, nous invitons par exemple des créatrices de jeu vidéo, tous les mois, dans une émission sur Twitch. Cerise sur le gâteau, la cofondatrice de Women in Games, Audrey Leprince, a été faite chevalière des arts et des lettres lors de la dernière Paris Games Week par la ministre de la Culture.

Parmi vos actions, on se souvient aussi de l’opération Gender swap Oui, il s’agissait de dénoncer les attitudes hypersexualisées des personnages féminins. On démontrait que celles-ci étaient inutiles pour le déroulement du jeu, voire grotesques, en les appliquant à des héros masculins comme Batman ou Superman. Dans cette vidéo, ils affichent des postures sensuelles et tout en minauderies.

Qu’en est-il de l’autre côté de l’écran ? Lorsque l’on joue entre soi, à la maison, tout va bien, c’est en ligne que les choses se gâtent. On le constate par exemple sur Twitch où de nombreuses streameuses, dans le sillage de Maghla, l’une des plus suivies en France, dénoncent le sexisme, le harcèlement et la violence dont elles sont victimes. D’ailleurs, concernant le jeu en réseau, des études montrent que plus de la moitié des filles dissimulent leur identité, c’est-à-dire leur genre, allant jusqu’à utiliser des filtres de voix pour éviter les railleries.

Compte-t-on aussi des championnes d’e-sport ? Elles sont pour l’heure moins nombreuses que les garçons, mais il y a de grandes joueuses. On peut citer Kayane, spécialiste des jeux de combats, ou encore Laure Valée, qui s’est imposée comme une figure du journalisme de l’e-sport. Au final, c’est un cercle vertueux : plus il y aura de jeux conçus par des femmes et plus les gameuses pourront s’identifier aux personnages. Mieux, elles pourront envisager une carrière dans cette industrie, et ensuite jouer les premiers rôles.

(c) Women in Games

(c) Women in Games

* Syndicat national du jeu vidéo

** Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs

Propos recueillis par Julien Damien // Photo : Tournoi Interbar WIG, 2019, MELT Toulouse © Women in games
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