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Objectif lutte

© Collection Barnabé Mons

Le Berger bulgare, le Bourreau de Béthune, la Bête humaine, le Gitan tatoué, l’Ange blanc… Ces noms exotiques ne vous disent peut-être rien. Pourtant, ces lutteurs ont enflammé pas mal de soirées entre l’hexagone et le plat-pays durant le siècle dernier. “Sociologue de l’étrange”, archiviste pop et chanteur de rock, le Nordiste Barnabé Mons ressuscite le temps d’une exposition bruxelloise cet âge d’or du catch franco-belge à travers des photographies, des vidéos et des affiches originales. On remonte sur le ring. 

Comment le catch est-il arrivé près de chez nous ? Il s’est développé à partir des années 1920 aux États-Unis en marge du music-hall et du cirque, mais toutes les prises de lutte ont été créées en Europe. Si on s’en dispute encore la paternité des deux côtés de l’Atlantique, les grandes figures des débuts sont bien françaises, à l’image de Charles Rigoulot. En France et en Belgique, le catch a vraiment explosé dans les années 1940 et 1950. À cette époque les galas étaient diffusés à la télévision et les lutteurs de véritables vedettes. Lino Ventura a d’ailleurs commencé comme ça. C’était alors un spectacle populaire, comme le rock.

Quelle est la particularité du catch franco-belge par rapport à ses cousins américains ou mexicains ? Chaque culture a son esthétique propre. Au Mexique, on s’inspire de l’art précolombien. C’est une sorte de mix entre les super-héros et les divinités incas. Visuellement c’est extraordinaire, mais là-bas on investit encore beaucoup d’argent dans ce sport. Aux États-Unis, c’est plus triste : les mecs sont tous bodybuildés et ont la même corpulence… Il y a moins de diversité, les lutteurs portent rarement un masque ou un accoutrement insolite. Ce qui me fascine justement dans le catch franco-belge, c’était son côté “do it yourself “, artisanal : une peau de bête, une grimace, un surnom rigolo et ça y est, on tient un personnage ! Même si certains reprenaient des figures existantes comme Quasimodo ou Batman, il y avait de l’inventivité.

D’où vous vient cet intérêt pour ce spectacle ? Je l’ai d’abord découvert à travers la photographie. Ces personnages aux surnoms et attitudes caricaturales me rappelaient le rock, pour son aspect très expressif. C’est une discipline transgressive, détournant les codes du sport. Elle offre aussi un tas de représentations sociales. On voyait débouler sur le ring des personnages dingues. Des loubards mais aussi des super-héros ou des anges ! C’est un monde où l’éternelle lutte entre le bien et le mal est incarnée par des lutteurs hauts en couleur. Ils pouvaient se moquer de tout : des flics, des hippies, des voyous… Bref, une liberté d’expression qu’on a perdue aujourd’hui.

Par exemple ? Je me souviens de M’Boaba, un lutteur noir qui surjouait le sauvage, mais pour mieux se foutre du regard des blancs, retournant tous les stéréotypes associés à sa couleur de peau, un peu comme le faisait le chanteur Screamin’ Jay Hawkins [NDLR : l’interprète de I Put a Spell on You]. Pour dire, il se baladait avec un boa et sa femme était une blanche déguisée façon coloniale… des choses impossibles à voir maintenant !

Collection Barnabé Mons

Collection Barnabé Mons

Qui étaient ces catcheurs ? Ça dépend, certains étaient masqués et on n’a jamais vraiment su qui ils étaient. C’est le cas du Bourreau de Béthune par exemple, qui drainait d’ailleurs pas mal d’histoires. On raconte qu’il est ensuite devenu le garde du corps de Jean-Marie Le Pen… En ce qui concerne son “ennemi juré”, l’Ange blanc, on s’est toujours demandé s’ils n’étaient pas plusieurs derrière le masque. Cela entretient le mystère… En tout cas, il y avait une vraie diversité, des pratiques mais aussi des corps, avec des lutteurs énormes autant que des nains. On comptait aussi des femmes comme Pinki la Panthère. A la fin de cet âge d’or, on a d’ailleurs assisté à une escalade voyeuriste, avec des combats seins nus, dans la boue…

Collection Barnabé Mons

Collection Barnabé Mons

D’autres catcheurs sur lesquels vous voudriez attirer l’attention ? À titre personnel, j’adore Travesti Man, un personnage des années 1990 avec un boa autour du cou. Il se faisait surnommer “la folie du XXe siècle”, ce qui ne veut absolument rien dire ! Plus fort, c’était un policier ! D’ailleurs pas mal de flics s’adonnaient au catch à l’époque, ce qui me les rend d’autant plus sympathiques. On peut aussi citer Le Petit prince, une figure belge qui était voltigeur ou encore l’Ours de l’Oural, avec sa coiffure afro incroyable, qui pose sur une peau de bête et porte une moustache à faire pâlir tous les hipsters.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Il y a encore des matchs et il y en aura toujours. Les catcheurs sont des passionnés souvent parrainés par des anciens. Ils sont prêts à traverser la France et à dormir sur un mauvais matelas pour un combat de 50 balles. Parmi les pros citons l’équipe de Flesh Gordon ou Booster à Maubeuge…

Collection Barnabé Mons

Collection Barnabé Mons

Croyez-vous en un nouvel âge d’or ? Pour cela il faudrait remettre de gros moyens… Mais je ne vois pas comment on pourrait réhabiliter un truc aussi rigolo et transgressif à cette échelle. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens attendent de la vraie violence comme avec le MMA, c’est sinistre. Je regrette le temps du simulacre de la violence, plus humain et poétique. À l’époque, on n’insistait pas sur l’aspect chiqué. Personne n’était dupe bien sûr mais un mystère planait au-dessus de tout ça. On a hélas trop dit que c’était du flan, en oubliant toute la préparation physique, la performance sportive, pourtant c’était un sacré spectacle !

Que verra-t-on au Botanique lors de cette exposition ? Une quinzaine d’affiches de galas d’époque et plus 300 photos de presse disposées sur un grand mur ! Elles sont ornées de vieux cadres trouvés dans des brocantes renforçant leur côté suranné, familial, comme chez mamie ! Je révèle aussi un cliché de Lourdes Grobet, une célèbre photographe mexicaine immortalisant André le Géant, une immense star. Enfin, dans une autre salle, on projette un combat entre l’Homme masqué et Roger Delaporte, commenté par Roger Couderc… qui se fait agresser en direct !

Propos recueillis par Julien Damien // Photo : © Collection Barnabé Mons
Informations
Bruxelles, Botanique

Site internet : http://www.botanique.be

24.11.2022>15.01.2023mer > dim : 12h- 20h, 3/2€

Kitsch catch, l’âge d’or franco-belge

Bruxelles, jusqu’au 15.01.2023, Botanique (festival Photo / Brut Bxl)

À visiter / confusion.space

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