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Le féminisme à l'affiche

Photo © Palmeraie et désert – France 2 cinéma

Depuis 2019, sur les murs des petites villes et des métropoles, des messages interpellent les passants. Ces affiches dénoncent le patriarcat, le machisme, les violence sexistes, les féminicides… Chaque nuit, un peu partout en France, de jeunes femmes combattent ces maux en collant dans l’espace public des slogans poétiques, humoristiques ou radicaux. De Marseille à Compiègne, en passant par Brest, Marie Perennès et Simon Depardon ont suivi ces militantes et en ont tiré un film, Riposte féministe. Rencontre avec des documentaristes engagés.

Qu’est-ce qui a déclenché ce film ?

Marie Perennès : Une fascination pour cette jeunesse âgée de 18 à 25 ans. Leur politisation, leur engagement et leur radicalité sont bien plus importants que les nôtres. Le déclic a été un collage en bas de chez nous, à Paris. Il fallait absolument mettre des visages dessus et donner la parole à ces femmes. Pérenniser leur action pour qu’elle ne disparaisse pas de l’espace public.

Comment la rencontre avec ces militantes a-t-elle eu lieu ?

Simon Depardon : Ce fut un long travail d’investigation. Ce mystère autour d’elles nous a d’autant plus motivés. Quand on les a rencontrées, leur parole nous a bluffés. Elles décrivent l’état de notre monde et comment elles aimeraient le changer. Cette génération a envie de tout dézinguer pour vivre dans une société sans patriarcat, plus écologique et anti-raciste. On s’est assis à table avec elles pour les laisser s’exprimer, sans jamais les couper. Ce “parlé frais”, qui peut aussi être contradictoire, nous subjugue. C’est la beauté militante à l’état pur !

Quelles sont leurs motivations ?

M.P. : Atteindre une véritable égalité entre les sexes, mais aussi rendre leur ville plus sûre, qu’une femme puisse sortir seule, à minuit, sans craindre une agression. Elles sont très engagées contre les féminicides, ce fléau qu’on ne parvient pas à endiguer. On en comptabilise tout de même entre 100 et 130 par an, soit un toutes les 48 h ou 72 h ! Leur but, c’est aussi de se réunir, d’être ensemble. Certaines protagonistes du film ont vécu des expériences traumatiques. En cela le collectif peut être un remède.

Pourquoi avoir suivi des militantes dans diverses régions de France ?

M. P. : On avait envie de réaliser un film choral, où il n’y a pas d’héroïnes. Plusieurs voix surgissent à travers tout le pays. Cela montre un maillage, que le féminisme se dresse partout contre le sexisme.

Quels sont leurs modes d’action ?

S. D. : Leurs actions sont directes, illégales, réclament du courage et un grand sens de la pédagogie. Mais on ne colle pas toute sa vie. Beaucoup d’intervenantes sont passées à une autre forme de militantisme. On lutte à d’autres endroits : au travail, dans le métro… Dans tous les cas, le féminisme, suppose la bienveillance, la parole, l’écoute, le soutien aux victimes.

Au début du film, un débat s’engage entre deux jeunes militantes. L’une est pour un mode d’action radical tandis que l’autre souhaite défendre les femmes, sans pour autant dénigrer les hommes… Pour vous, quel est le bon moyen d’action ?

S. D. : Nous ne sommes ni d’un côté, ni de l’autre, mais la société doit s’interroger sur la façon d’alerter les médias. Cette question de la violence dans le militantisme n’est pas née avec ce mouvement. Pour qu’on s’intéresse à leur détresse, il faut parfois mener des actions un peu radicales…

Photo © Palmeraie et désert – France 2 cinéma

Photo © Palmeraie et désert – France 2 cinéma

Assistons-nous à une évolution du féminisme ?

M.P. : De façon générale, depuis 2017 et MeToo, il y a un retour des collectifs. On dit souvent depuis les années 1980 que les combats ont été gagnés suite à la loi sur l’IVG. MeToo a rappelé qu’il reste bien des luttes à mener ! On déplore aussi des retours en arrière. On le voit avec la question de l’avortement aux États-Unis… Dès qu’un conservatisme accède au pouvoir, les droits des femmes sont grignotés en premier…

Comment avez-vous suivi ces actions nocturnes dans l’espace public ?

S.D. : On a filmé ces militantes pendant un an et demi. On se plaçait le long du mur pour voir les visages. Elles portaient des micros. Notre ingénieur du son a d’ailleurs découvert qu’ils étaient conçus pour l’enregistrement de voix d’hommes !

Peut-on parler d’une œuvre militante ?

M.P. : Nous espérons que le film apporte une petite pierre à cette noble cause.

S. D. : On n’aurait pas fait ce documentaire sans être militants, mais on reste des cinéastes. D’ailleurs, on peut être les deux ! Ce film s’adresse aussi aux hommes cherchant leur place dans le féminisme. Fille ou garçon, on en ressort plus armés pour mener des conversations en famille et entre amis.

Marie Perennès & Simon Depardon

Marie Perennès & Simon Depardon

Simon, le film est produit par Claudine Nougaret et Raymond Depardon est remercié au générique de fin. De quelle manière vos parents vous ont-ils accompagnés ?

S. D. : Déjà politiquement parce que Palmeraie et désert, leur société de production, a toujours défendu un cinéma regardant la société française droit dans les yeux, incitant nos concitoyens à se poser des questions. Ce cinéma documentaire est pensé pour qu’on se retrouve dans les salles, qu’on débatte. Et puis, ils ont une certaine exigence esthétique…

Dans quel sens ?

Ils nous ont toujours dit de filmer les paysans des Cévennes ou les enfants d’un quartier populaire, en région parisienne, avec la même exigence qu’on le ferait avec Brad Pitt ou Angelina Jolie. Il nous faut une image et un son parfaits parce qu’ils le méritent, et c’est ainsi qu’on restitue la beauté. Le documentaire est un art politique, mais surtout un art ! C’est un héritage qu’on a voulu embrasser. Bien sûr, ils nous ont largement aidé. Et Raymond nous a même prêté sa voiture (rires).

Propos recueillis par Grégory Marouzé // Photos © Palmeraie et désert – France 2 cinéma

Riposte féministe

Documentaire de Marie Perennès & Simon Depardon. Sortie le 09.11

À lire / Riposte féministe de Marie Perennès & Simon Depardon (Seuil) 160 p., 16€, seuil.com  

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