Home Exposition Joan Miró

Entre les lignes

© Julien Damien

Après avoir ausculté la religiosité d’Andy Warhol ou le rôle du Borinage dans la vocation de Van Gogh, le musée des Beaux-Arts de Mons (BAM) se penche sur le parcours de Joan Miró. Sous-titrée “l’essence des choses passées et présentes”, cette exposition (la première consacrée au Catalan en Belgique depuis 1956) rassemble des oeuvres issues des quatre coins du monde. Surtout, elle démontre comment cet artiste, souvent rangé dans ce grand fourre-tout qu’est le surréalisme, s’est inspiré de nombreux courants pour affirmer son style.

À l’évocation de Joan Miró surgissent inévitablement les mêmes mots : des compositions épurées, des formes et des traits simples, voire « enfantins » pour citer André Breton. En réalité, l’affaire est plus complexe. « C’est un artiste très populaire mais qui n’a pas été compris, affirme Xavier Roland, responsable du pôle muséal de Mons. Il n’y a en effet rien de spontané dans son oeuvre, tout est sophistiqué et extrêmement référencé ». Pourtant, n’est-ce pas Miró lui-même qui assura, en 1928, vouloir « assassiner la peinture » ? Si cette déclaration iconoclaste traduit « une recherche de liberté totale », selon la commissaire Victoria Noel-Johnson, elle ne se signifie pas pour autant une déconnexion avec l’histoire de l’art. C’est même tout le contraire, comme le démontre parfaitement cette exposition.

Le passé recomposé

Au fil d’une centaine de pièces, entre peintures, dessins, sculptures mais aussi objets personnels, le parcours révèle l’évolution de l’artiste et ses inspirations, de ses premières toiles influencées par le fauvisme, le cubisme en passant par la calligraphie japonaise ou l’expressionnisme abstrait américain – l’Espagnol a d’ailleurs expérimenté le “dripping” bien avant Pollock. Oui, Miró a puisé dans des tas de courants pour élaborer ce style unique, où la forme s’efface peu à peu pour laisser place à “l’essence” de la figure.

Miró au Museo Nacional del Prado, 1972 Photo : Francesc Català-Roca / DR

Miró au Museo Nacional del Prado, 1972
Photo : Francesc Català-Roca / DR

Au BAM, des dispositifs numériques décortiquent la façon dont il a pioché des éléments (ici un visage, là un objet) dans Le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou La Fornarina de Raphaël pour les transformer et les fondre dans ses propres tableaux. L’analyse de ses “Intérieurs hollandais” ou de ses “Portraits imaginaires” est en cela éloquente. Parfois, ses références nous renvoient même… à la préhistoire. Si le bleu reste sa couleur de prédilection (c’est celle du ciel et de la mer de sa Barcelone natale), on remarque une appétence pour les tons bruns ou beiges. Pourquoi ? « C’est un écho à la grotte, aux cavernes », précise Victoria Noel-Johnson. Cet attrait pour l’art primitif est évident face à Les Oiseaux de proie foncent sur nos ombres, soit une oeuvre peinte sur une peau de vache, geste traduisant « le lien le plus intime entre l’Homme et la nature ». Et, finalement, la création dans ce qu’elle a de plus élémentaire.


Œuvres commentées par Xavier Roland, directeur du pôle muséal de Mons

Elle et Lui (1925)

« Cette peinture montre bien la manière dont Miró fonctionne. Pour la réaliser il s’est inspiré d’un tableau hollandais du xviie siècle, montrant une mère et son enfant. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’artiste ne crée donc pas des formes et des couleurs ex nihilo, mais se nourrit de références. Il reprend ici des motifs (comme les yeux ou la bouche de l’enfant) mais épure la composition pour retenir l’essentiel. Ainsi, la forme organique bleue symbolise la robe de la mère. Cela suffit à représenter le lien entre les deux personnages, la filiation. Voilà pourquoi l’oeuvre de Joan Miró parle à tout le monde : il a conçu un langage universel. »

Les Oiseaux de proie foncent sur nos ombres (1970)

© Successio Miró / SABAM Belgium 2022 © Maeght, 2022

© Successio Miró / SABAM Belgium 2022 © Maeght, 2022

« C’est une oeuvre emblématique. Joan Miró a ici peint sur une peau de vache. Il assassine donc la peinture au sens le plus littéral du terme. Il a choisi un support organique et ce n’est pas anodin : celui-ci renvoie à une vie antérieure que l’artiste réanime à travers son geste expressionniste. La grandeur de l’oeuvre lui donne aussi un caractère iconique, voire sacré. Sur une toile, la peinture n’aurait pas eu la même force. Enfin, on sent que cette composition n’a pas de centre et qu’elle ne s’arrête pas non plus aux contours du support, comme si elle continuait audelà. Comme si Miró voulait nier les limites de l’existence… »

Julien Damien
Informations
Mons, BAM

Site internet : http://www.bam.mons.be

Mardi au dimanche, 10h > 18h

08.10.2022>08.01.2023mar > dim : 10h-18h, 16/12€ (gratuit -12 ans)
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