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© Radio France - Christophe Abramowitz

Avec Very Good Trip sur France Inter, il nous guide chaque soir vers des contrées musicales inattendues. Ne dites cependant pas à Michka Assayas qu’il est un érudit : malgré ses connaissances encyclopédiques (le Dictionnaire du rock, c’est lui) le journaliste continue, à 63 ans, de nourrir un rapport quasi charnel à sa passion. Ce Diderot rock publie un livre d’entretiens menés par la journaliste Maud Berthomier dans lequel il raconte, avec moult anecdotes personnelles, comment la musique a jalonné, et même modelé, sa vie.

Quel a été le point de départ de ce livre ? Il s’agit d’une commande de mon éditeur questionnant mon rapport à la musique. Comme je ne voulais pas proposer une énième “discothèque idéale” et que mon émission de radio prend du temps, nous avons sollicité Maud Berthomier, qui avait publié un formidable recueil d’entretiens avec des légendes de la critique rock américaine. L’entente a été instantanée, elle a su me pousser dans mes retranchements, jusqu’à revenir sur mon enfance, ma famille ! Dans un deuxième temps, nous avons retravaillé ces entretiens, un peu comme un groupe qui ajuste certaines prises de son en studio.

Comment traduire concrètement votre passion sur le papier ? L’idée était surtout de contextualiser. La musique que je décris a marqué différents épisodes de ma vie. Cette discussion souligne l’importance de ces découvertes pour moi. Mais je suis un prétexte, je représente n’importe quel lycéen modelé par le prog rock.

Ce qui frappe à la radio comme dans le livre, c’est votre enthousiasme intact, presque juvénile. La musique, ça n’était donc pas mieux avant ? Bien sûr que non ! Chaque période est enjolivée par le souvenir qu’on en garde. Dans les années 1960 je peux vous assurer qu’on écoutait davantage Burt Bacharach et Mireille Mathieu que les Beatles ou les Stones ! Je suis persuadé que des artistes d’aujourd’hui vont rester dans l’histoire. Ce qui a changé en fait, c’est le rôle social de la musique. Elle n’a plus la résonance qu’elle avait dans nos vies. Désormais elle est diluée dans un flux de divertissement. On va voir un concert comme on va au restaurant… Cela me rend triste, mais ça n’est en rien une question de qualité !

Dans l’introduction au premier chapitre, Maud Berthomier affirme que « la musique raconte des histoires qui nous sont communes » : est-ce toujours le cas aujourd’hui, avec la parcellisation des méthodes d’écoute ? Évidemment, la musique a perdu de son universalité. Il reste tout de même des micro-communautés extrêmement mobilisées autour d’un genre, comme dans le doom metal par exemple, dont les fans à travers le monde forment presque une secte… Dans le passé ce type de comportement était plus généralisé, c’était le cas pour nous qui écoutions New Order !

Vous n’hésitez pas à défendre des artistes dits mainstream. Est-ce une démarche délibérée de vous méfier des chapelles ? Par le passé, j’ai été très snob ! J’étais animé par l’envie de traquer ce qui était nouveau, faisait bouger les lignes. De comprendre le monde dans lequel on vit, en quelque sorte. Et puis la presse rock, à une période, mettait toujours en avant les mêmes artistes : les Doors, Pink Floyd… Déjà au temps du punk, je ne comprenais pas l’intolérance que certains pouvaient nourrir à l’égard des Beach Boys. Je m’évertuais à expliquer que leurs chansons étaient des merveilles ! À l’époque où j’écrivais dans Rock & Folk, je défendais déjà Abba. En lançant cette folle aventure qu’était le Dictionnaire du Rock, je me suis rendu compte que j’avais des préjugés sur de nombreux artistes. Alors, j’ai replongé dans des milliers de discographies, à la façon d’un chercheur. Finalement cette attitude “bienveillante” est l’aboutissement de tout un parcours.

À l’instar d’un enquêteur vous cherchez toujours à comprendre dans quel contexte un album ou un titre est né, n’est-ce pas ? J’ai toujours procédé ainsi, même sans m’en rendre compte. Par exemple, mon premier article sur Joy Division mentionnait déjà la désindustrialisation… Cette manie d’enquêter me vient naturellement : la musique est une chose très énigmatique, et son effet peut être d’une grande violence. J’ai toujours eu besoin de chercher à comprendre ce qui m’arrivait quand une chanson me heurtait, comment elle parvient à m’hypnotiser.

Vous évoquez dans un passage sur vos années à l’École Normale la peur de « tout rater ». Êtes-vous toujours dévoré par l’envie de tout écouter ? C’est encore le cas, bien sûr, en partie pour les besoins de mon émission, qu’il me faut quotidiennement “remplir”. C’est aussi nécessaire pour la création musicale. Dans son livre Qu’est-ce que la musique ? David Byrne expliquait que chaque album est le fruit de multiples contraintes… Ainsi chaque jour je me rends au marché contraint mais heureux !

Justement, quel est-il ce marché ? Je continue à piocher dans les magazines anglais, mais aussi dans Magic ou sur des sites comme Consequence of Sound

Comment avez-vous procédé pour compiler les 300 titres de la playlist qui composent votre parcours intime ? Ces morceaux ont surgi au hasard de nos conversations avec Maud. Ils ont tous une importance particulière, la faculté de me faire battre le coeur. Je pourrais leur consacrer à chacun un laïus entier pour expliquer en quoi ils sont importants. Ils ont tous une résonance personnelle. Mais le pari de ce livre est de s’adresser à tous ceux qui entretiennent des souvenirs avec la musique, peu importe laquelle.

Propos recueillis par Mathieu Dauchy // Photo © Radio France - Christophe Abramowitz

À lire / Very Good Trip. Une Histoire intime de la musique, de Michka Assayas et Maud Berthomier (GM Éditions), 216 p., 34€, gm-editions.com

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