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En contre-plongée

Charlotte Abramow devant
Équilibre instable et jaune, 2014, Paris © Julien Damien

Poétique, engagée et drôle. Tels sont les adjectifs venant à l’esprit face à l’œuvre de Charlotte Abramow. Révélée auprès du grand public avec ses photographies et clips réalisés pour Angèle (l’album Brol), la Bruxelloise présente au Hangar sa première exposition monographique chez elle, en Belgique. Celle-ci s’intitule Volle Petrol, flandricisme signifiant “à toute vitesse”. A l’image de son parcours, du genre fulgurant.

A quoi ressemblent vos débuts ? J’ai pris mes toutes premières photos avec un appareil jetable, à sept ans. Rétrospectivement, c’est drôle d’observer comment on cadre à cet âge-là, loin des normes. Et puis surtout, ça offre des souvenirs à hauteur d’enfant. Donc tout a commencé de cette façon, par le jeu. Ensuite ce fut plus par ennui, à l’âge de 13 ans et un été durant lequel je photographiais les chats et les fleurs dans mon jardin… et depuis la photographie ne m’a plus jamais lâchée, jusqu’à devenir une obsession.

Vous avez aussi été repérée par un certain Paolo Roversi… Oui, j’avais alors 16 ans. Il organisait des stages aux Rencontres d’Arles. On pouvait passer la journée avec lui. Le matin, on lui posait des question et l’après-midi il regardait les portfolios de chacun des stagiaires. Ce fut une belle rencontre. C’est surtout sa gentillesse qu’a donné confiance en moi et des ailes dans le dos pour continuer dans cette voie. J’ai alors effectué quelques travaux en Belgique puis, à 19 ans, je suis partie à Paris pour étudier aux Gobelins, l’école de l’image.

Vue d'exposition (c) Camille Baton

Vue d’exposition (c) Camille Baton

Il y a une autre rencontre importante dans votre parcours : celle d’Angèle. Comment s’est-elle déroulée ? Je la connaissais de loin, à Bruxelles, mais ne l’avais jamais rencontrée. Je savais qu’elle était jolie mais pas qu’elle chantait. J’ai commencé à la suivre sur son Instagram en 2016. On l’a voyait interpréter ses morceaux en râpant du fromage ! Elle avait donc une belle voix, mais aussi de l’humour. Et puis assez rapidement sa manageuse m’a contactée afin que je fasse des photos. Angèle allait donner ses tout premiers concerts dans des bars bruxellois mais n’avait aucun visuel. J’ai accepté : cette fille semblait d’avoir du potentiel, et puis on avait pas mal de points communs, notamment ce côté absurde, surréaliste… belge quoi. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé ce cliché d’elle avec des spaghettis sur la tête. Ensuite on a poursuivi notre collaboration avec des clips, toutes les images pour l’album Brol, de façon un peu “brol”* justement… Mais c’était très chouette, parce qu’il n’y avait pas de label, de directeur artistique entre nous. Elle m’a laissée beaucoup de liberté, me permettant de m’exprimer. Au regard de nos points communs, tout relevait de l’évidence.

Parmi ces points communs, il y a le féminisme aussi… C’est vrai, et c’est grâce à Ophélie Secq, ma maquilleuse, qui a aussi co-écrit avec moi le clip de Balance ton quoi. Elle m’a inculquée les valeurs du féminisme, puis on les a transmises ensemble à Angèle, qui était plus jeune. C’était une sorte de passation entre filles.

Comment définiriez-vous votre travail ? C’est un équilibre entre l’instinct et la réflexion. Il est assez construit, mis en scène, graphique, avec toujours une petite pointe de surréalisme ou d’absurde et toujours très coloré. Généralement, je montre surtout des corps humains.

Et notamment féminins. Pourquoi cela ? Je pense que cette réflexion est née lorsque j’étais jeune fille. Arrivée à l’adolescence, les regards et les jugements changent. Le corps féminin a toujours été très exploité, montré, mis en scène. Je voulais donc interroger ce regard mais aussi les bouleversements intervenants à différentes étapes de la vie des femmes… A travers mon travail, j’essaie aussi de véhiculer des messages à tous les genres, pour faire en sorte que nous sortions de ce rapport conflictuel avec notre corps, bousculé par tellement d’injonctions de société, et même capitalistes…

Charlotte Abramow - 40Mins of Anaïs V, 2021, Paris © Charlotte Abramow

Charlotte Abramow – 40Mins of Anaïs V, 2021, Paris © Charlotte Abramow

Il y a donc le féminisme, mais aussi le surréalisme, qui vous vient de Magritte... Et de la Belgique en général ! Mais oui, Magritte m’inspire beaucoup. En une image il parvient à dire tellement de choses à la fois, télescopant des éléments qui n’étaient pas censés se rencontrer, créer de l’inattendu, jouer avec le sens des choses… c’est une grande influence. Le ciel n’appartient pas à Magritte, mais il l’a quand même figé comme personne. Je lui dois d’ailleurs une petite obsession pour les nuages. Ils sont assez rassurants, apparaissent, disparaissent et sont différents tous les jours.

Parmi toutes ces images exposées au Hangar, y en a-t-il une qui recouvre une histoire particulière ? J’aime beaucoup celle de Claudette, toute nue. A l’époque, elle était âgée de 74 ans, on était en 2014, et moi j’avais 20 ans. J’adore ce que cette photographie représente, et même symbolise : on a absolument pas l’habitude de voir une vieille dame nue, et encore moins toute contente et fière de l’être, presqu’hilare sur le devant de la scène. Sa joie de vivre nous montre que la beauté est intemporelle. C’est une ode à l’acception de soi, à la liberté.

Quels sont vos projets ? J’ai bossé une bonne partie de l’été sur cette exposition. Sinon, j’ai un peu mis la pédale douce ces derrière mois, pour me régénérer. Après la crise du Covid, je me suis posée beaucoup de questions sur la légitimité et le sens de mon travail. Est-ce si essentiel si je mène tel ou tel projet ? Est-ce qu’il n’y a pas plus urgent ? Mais la photographie reste ma passion…

* belgicisme signifiant “désordre”

A LIRE ICI / CECI N’EST PAS UN CLICHE

Rouge sur blanc, 2018, Paris © Charlotte Abramow

Rouge sur blanc, 2018, Paris
© Charlotte Abramow

Propos recueillis par Julien Damien // Photo : Charlotte Abramow devant Équilibre instable et jaune, 2014, Paris © Julien Damien
Informations
Bruxelles, Hangar
09.09.2022>17.12.2022mar > sam : 12h-18h, 7/5€ (gratuit –13 ans)
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