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Le boss des maths

© Gilles Lemoine

Voici l’homme qui va nous réconcilier avec les mathématiques. Ancien prof devenu comédien, Manu Houdart a créé un “one math show” détonnant, apte à donner le goût de cette matière souvent mal aimée (voire haïe !) aux plus récalcitrants. Dans Very Math Trip, ce vulgarisateur belge nous démontre par A + B comment Pythagore peut se glisser dans un match de foot, que vous serez sans doute plus d’un à fêter votre anniversaire le même jour dans la salle, ou encore que le bonheur tient parfois à une équation. On a pris quelques notes avant son passage au Colisée de Roubaix – histoire de fayoter.

Avant de monter sur scène, vous étiez prof de maths, n’est-ce pas ? Oui, j’ai commencé à enseigner en 1999. Dès l’âge de 15 ans, j’ai su que je voulais exercer ce métier. Après des études à l’université de Mons, j’ai eu la chance d’être titularisé dans un chouette établissement, le collège de la Berlière à Ath, et j’ai bien cru que j’allais y passer ma vie.

Mais ça ne s’est pas passé comme ça… Eh non ! En 2003, j’ai créé une association, Entr’aide, pour soutenir les élèves en difficulté. Je faisais ça en parallèle de mon métier, le mercredi après-midi et le samedi matin. Les inscriptions ont grimpé en flèche. En 2011, on en accueillait plus d’un millier ! J’ai d’ailleurs reçu le prix de l’Innovation pédagogique des mains de la Reine Paola pour ça.

Comment gériez-vous ces deux activités ? En 2012, j’ai pris la difficile décision de mettre ma carrière d’enseignant entre parenthèses pour me consacrer pleinement à cette structure. Je n’aurais pas su faire autre chose qu’un métier lié à l’apprentissage, la vulgarisation, mais j’ai aussi un petit côté entrepreneur… Trois ans plus tard, j’ai donc créé la Maison des maths, dont le but était de donner goût à cette matière. Le succès fut total, et j’ai cette fois été nommé Wallon de l’année !

© Stéphane Kerrad

© Stéphane Kerrad

Pourquoi cette matière est-elle si mal aimée ? Les élèves sont en mesure de la comprendre, mais ils ne voient pas à quoi elle sert. Et lorsque quelqu’un n’est pas motivé, pourquoi se torturerait-il l’esprit ? J’essaie alors de montrer les applications concrètes des mathématiques car elles se cachent partout dans notre vie. Beaucoup exécutent des procédures, des équations, comme de gentils moutons, sans en percevoir le sens. Ma démarche m’a d’ailleurs valu des déconvenues. Un collègue m’a dit un jour : « Mais enfin Manu, le but n’est pas que tout le monde comprenne ». C’est bien là le problème ! Les mathématiques ont trop souvent été utilisées comme un instrument de sélection, d’élitisme. Pourtant, rien ne justifie des échecs aussi importants avec cette matière, en tout cas pas plus qu’en français ou en histoire-géo. La bosse des maths n’existe pas !

Quel enseignant étiez-vous ? Utilisiez-vous des méthodes non-académiques ? Sans doute, j’ai toujours démythifié les mathématiciens en rappelant le contexte de leurs découvertes, mais aussi leurs erreurs. Pythagore a dit beaucoup de choses vraies mais aussi fausses.

N’étiez pas vous-même assez mauvais en mathématiques à l’école ? En effet, j’affiche d’ailleurs mon bulletin au début du spectacle. En seconde, je culminais à 9 sur 20 ! Pourtant, j’adorais ça. Particulièrement l’étincelle qui jaillit lorsque tout s’éclaire. Et je la devais beaucoup à mon frère aîné, qui m’expliquait les choses simplement, comme je le fais aujourd’hui.

Comment ce one-man-show est-il né ? En tant que directeur de la Maison des maths je passais tout mon temps en réunion alors que j’adorais enseigner… A un moment donné, j’ai voulu m’offrir une parenthèse. J’ai donc écrit un spectacle en dix jours, résumant ce que je transmettais depuis 20 ans ! Au départ, j’ai donné dix dates pour me faire plaisir. Et puis la Maison des maths a dû fermer. En juin 2018, les enseignants m’ont été retirés, ça a été dur… Je me suis alors dit que je ne dépendrais plus jamais d’aucune subvention. J’ai donc emporté ma Maison des maths sur le dos, en tournée ! Je recense 600 dates aujourd’hui, j’interviens aussi beaucoup dans les collèges et les lycées.

À quoi ressemble ce spectacle ? Globalement, il se déroule en deux parties. Je pose des problèmes amusants et les résous avec les gens. Leur première réponse est souvent fausse. Par contre, après quelques minutes de réflexion, on parvient à trouver la solution ! C’est très interactif. Il y a aussi une dimension culturelle, où j’explique les maths comme une histoire, avec des anecdotes.

Qu’est-ce que “l’effet waooh” dont vous parlez souvent ? C’est la surprise, et même l’émotion, que procurent les mathématiques. Cet éclair de stupéfaction qui vous traverse au moment du résultat. Prenons un exemple simple. La probabilité de gagner le jackpot à l’EuroMillions est très faible : une chance sur 140 millions. Mais qu’est-ce-que cela signifie ? Le problème avec les grands nombres, c’est qu’ils ne nous parlent pas. Je cherche donc des comparaisons frappantes. En l’occurrence, il faut imaginer quelqu’un marcher de Bruxelles jusqu’à Rome. Sur ce trajet de 1 400 km, on focalise sur un petit centimètre : eh bien c’est votre chance de gagner à l’EuroMillions ! Ça, c’est un effet waooh.

Un autre exemple ? En 1943, un mathématicien américain, Edward Kasner, décide de créer un nombre. Il pressent qu’à l’avenir on aura besoin de grandes séries. Il invente le 1 suivi de 100 zéros, 10 à la puissance 100. Ceci fait, Kasner demande à son neveu de 9 ans de trouver un nom à sa création. L’enfant décide alors de la baptiser “googol” (que l’on prononcera “gogol” en français) et qui deviendra… Google lorsqu’en 1995 Larry Page et Sergey Brin lancent leur moteur de recherche censé rassembler toutes les connaissances de l’univers… Waooh !

Finalement, êtes-vous prof ou comédien ? Les deux ! Lors de mon spectacle, les gens ne sont pas en classe. D’ailleurs, je dois beaucoup cette dimension théâtrale à mon metteur en scène, Thomas Le Douarec, également à l’œuvre derrière Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus de Paul Dewandre. Il a transformé ce qui était une conférence en véritable one-man-show. Tout ça avec peu de moyens. Sur scène, je suis seul devant un tableau numérique… et je ne me vois pas faire autre chose, ça ne me tente pas de devenir un comédien “classique”. Pour tout dire, quand je me repose, je bouquine des livres de maths ! C’est ma passion.

Quels sont vos projets ? J’ai écrit un livre, composé un one-man-show, je rêve désormais d’avoir ma chronique radio sur France Inter ! Et puis, pourquoi pas donner une suite à mon spectacle ? Sous une autre forme ? Il y a tellement de choses à raconter sur les mathématiques !

Propos recueillis par Julien Damien // Photo © Gilles Lemoine
Informations
Roubaix, Le Colisée

Site internet : http://www.coliseeroubaix.com

05.10.202220h, 23>7€

À lire / Very Math Trip, de Manu Houdart (Flammarion), 304 p., 19,90€, editions.flammarion.com

À visiter / www.verymathtrip.com

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