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Baroque en stock

(c) Julien Damien

Longue de plus de 40 mètres, majestueuse et tentaculaire, elle survole le hall de la gare Lille-Flandres, suscitant l’émerveillement comme les interrogations. Non, les Valkyries de Joana Vasconcelos ne laissent jamais indifférents. Monumentales, extravagantes, ultracolorées… Depuis près de 20 ans, les structures gonflables et recouvertes d’une myriade de textiles de cette plasticienne portugaise appellent tous les superlatifs. A l’occasion d’Utopia, elle en présente deux : Simone, à la gare, et Martha. Cette dernière est un hommage à Martha Desrumaux, figure emblématique du monde ouvrier, et a été spécialement conçue pour la maison Folie Wazemmes, ici transformée en mirifique Jardin d’Eden. Entretien.

Comment définirez-vous votre art ? Peut-on le qualifier de “baroque” ? Oui, ça me va assez bien, d’ailleurs c’est un mot portugais ! Plus largement, je suis influencée par de nombreux courants liés au pop art, au surréalisme… qui s’expriment plus ou moins au fil de mes œuvres.

Vous êtes connue pour vos fameuses Valkyries. Comment cette idée est-elle née ? Selon la mythologie du Nord de l’Europe, les Valkyries sont des déesses survolant les champs de bataille pour ramasser les guerriers tués au combat et ramener à la vie les plus courageux d’entre eux, afin qu’ils travaillent pour les dieux. Cette idée de rendre la vie à travers l’art est très impor- tante pour moi. Ces pièces textiles, qui flottent au-dessus de nos têtes, comme les déesses, transforment les espaces publics et notre regard sur le quotidien. Elles le renouvellent.

(c) Julien Damien

(c) Julien Damien

Vos pièces semblent pourtant éloignées de l’idée que l’on se fait d’une guerrière… Oui, la description qu’en fait, par exemple, le compositeur Richard Wagner, est assez masculine. Pour lui, les Valkyries sont toujours des femmes très dures, militaires. Les miennes restent des combattantes, mais j’ai voulu leur injecter de la beauté, de la féminité. Ces œuvres sont réalisées sur-mesure, à la main, avec un soin apporté au détail. Il y a du tricot, du crochet, de la dentelle, de la broderie… comme dans la haute couture. Mes créations sont volumineuses et très sensuelles. Disons que c’est une vision plus ouverte, de la femme.

Peut-on parler d’une démarche féministe ? Tout à fait. Les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits que les hommes, et cela partout dans le monde. Liberté, égalité et fraternité forment la devise de la république française, mais celle-ci n’est pas respectée… Il faut donc continuer de se battre. C’est ce que j’essaie de concrétiser à travers mes œuvres monumentales dans l’espace public.

Pourquoi avez-vous nommé cette Valkyrie installée à la gare Lille-Flandres Simone ? C’est un hommage à toutes les Simone : Simone de Beauvoir, Simone Signoret, Simone Veil mais aussi… à la voix de la SNCF, portée par Simone Hérault ! Cette pièce représente toutes ces femmes françaises, et plus largement du monde, qui ont marqué leur époque grâce à l’art, la culture et la pensée.

Que vous inspire d’ailleurs le mouvement MeToo ? J’évoque ces sujets depuis des années, par exemple à travers La Fiancée, soit un lustre blanc constitué de 14 000 tampons, évoquant une robe de mariée et la virginité. En 2012, cette œuvre avait été refusée par le Château de Versailles, soi-disant incorrecte… J’aborde donc des thèmes tabous mais qui ne devraient pas l’être. Exprimer l’identité féminine, sa sexualité, lui offrir un espace demeure primordial. Pour autant, il ne s’agit pas non plus de mener une guerre !

(c) Nicolas Pattou

(c) Nicolas Pattou

Comment concevez-vous vos Valkyries ? J’ai un atelier employant 57 personnes à Lisbonne. De nombreux artisans participent aussi aux projets. Généralement, je dessine la forme des pièces sur le lieu accueillant mes œuvres. Pour établir un dialogue avec l’architecture investie, car il ne s’agit pas d’une simple décoration. Ensuite je lance la réalisation avec mon équipe en relation avec la population locale. Ce fut le cas à Wazemmes pour Martha, soutenue par des ateliers participatifs avec les habitants. Puis la sculpture est assemblée sur les lieux. Cela permet d’organiser la rencontre entre des techniques différentes, artistiques ou artisanales, et des gens qui ne se connaissent pas.

Quels types de matériaux utilisez-vous ? Oh, tout ce qui existe ! Du tricot, de la dentelle… je recycle également beaucoup de vieux vêtements car c’est aussi un travail de réinterprétation, d’intégration de la tradition dans la modernité.

Comment avez-vous conçu ce jardin d’Eden à Wazemmes ? On découvre d’abord un jardin composé de fleurs en plastique qui s’illuminent dans une pièce plongée dans l’obscurité. Celles-ci ont le pouvoir de nous emmener dans une autre dimension, un monde magique. Je l’ai imaginé comme un labyrinthe, inspiré des jardins français, en mêlant technologie et poésie. À l’étage, j’expose d’autres de mes créations, comme l’urinoir Purple Rain. Il est mauve et peut accueillir deux hommes en même temps. C’est une relecture LGBT de l’œuvre de Marcel Duchamp…

Valkyrie Martha © Maxime Dufour photographies

Valkyrie Martha © Maxime Dufour photographies

Enfin on trouve Martha, votre seconde Valkyrie présentée à Lille… Oui, celle-ci a été réalisée spécialement pour Wazemmes. Elle est constituée d’une gigantesque fleur suspendue au plafond, renvoyant au jardin d’Eden. Elle intègre de nombreux éléments textiles recyclés, élaborés lors d’ateliers participatifs à Lille. Les habitants du quartier ont réalisé ces pièces au crochet et en tricot, qui sont la base de mon travail. L’installation est ponctuellement activée par une musique créée à Lille et une chorégraphie interprétée par des jeunes danseurs locaux (ndlr : des élèves du collège Makeba à Lille). Il s’agit de rassembler dans une même salle tous les arts : musique, danse, installation, sculpture, artisanat… C’est une œuvre totale, symbolisant l’esprit du festival de lille3000.

Propos recueillis par Julien Damien

Simone

Lille, jusqu’au 02.10, gare Lille-Flandres, lille3000

Jardin d’Eden

Lille, jusqu’au 01.10, maison Folie Wazemmes, mer > dim : 14h-19h, gratuit, maisonsfolie.lille.fr

À visiter / www.joanavasconcelos.com

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