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Les Noces rebelles

Jolene et Andrew, plus que jamais main dans la main.

Tandis que le nombre de mariages hétérosexuels décroit en Europe (Royaume-Uni compris), la petite ville écossaise de Gretna Green célèbre en moyenne 4 000 unions par an – sauf en 2020 où leur nombre a chuté de moitié à cause de vous-savez-quoi. Connue depuis le milieu du XVIIIe siècle comme la cité où l’on venait se dire “oui” à la va-vite sans consentement parental, cette bourgade de moins de 3 000 âmes a toujours la cote auprès de couples en quête de romantisme, ou cherchant à fuir quelque chose… Balade nuptiale dans les rues tranquilles du Las Vegas sans strass de l’Écosse.

C’est le grand jour pour Jolene et Andrew. Ces Irlandais ont décidé de s’unir dans une petite commune du sud-ouest de l’Ecosse, à un kilomètre de la frontière avec l’Angleterre. « On a choisi cet endroit pour son charme et son histoire », dévoile la jeune femme en claquant des dents, les épaules nues dans sa longue robe blanche. En cet hiver, il ne fait que huit petits degrés et le vent renforce la pluie écossaise… Qu’à cela ne tienne, le couple se plie au rite du baiser sous l’arche ultra-kitsch représentant deux mains jointes. Bienvenue à Gretna Green, 2 700 habitants, la ville où l’on peut se marier en moins de 20 minutes, et ce depuis près de trois siècles !

Sous l’enclume

L’affaire commence en 1754 lorsque l’Angleterre durcit de manière drastique sa loi sur le mariage, en réaction à une vague de pasteurs corrompus célébrant des unions frauduleuses pour de l’argent. D’après le nouveau texte, un futur époux qui n’a pas 21 ans nécessitera un consentement parental. Or, cette règle ne concernait pas l’Ecosse. De l’autre côté de la frontière, on autorisait toujours les mariages, à partir de 14 ans pour les garçons et 12 ans pour les filles, avec ou sans l’accord de la famille (aujourd’hui l’âge minimum requis est de 16 ans). Nombre de petits malins ont alors rejoint la bourgade écossaise la plus proche, Gretna Green, pour convoler en “justes noces”.

« A l’époque, n’importe qui sachant écrire pouvait célébrer un mariage, explique Ian, officier d’état civil local. Et ici, seuls les forgerons savaient manier la plume ». Ils devinrent donc des marieurs professionnels, surnommés “anvil priests” – soit les prêtres de l’enclume. Chaque accord était alors scellé sur une enclume : les jeunes gens signaient leur certificat dessus et le forgeron clôturait la cérémonie en la frappant d’un bon coup de marteau. Les échoppes servaient de salles d’accueil. L’une d’elles a d’ailleurs survécu. Rebaptisée “Famous Blacksmiths Shop”, elle abrite plusieurs pièces où des cérémonies sont toujours célébrées ainsi qu’un petit musée, au sein d’un mini-complexe touristique avec son café, ses magasins et ses statues.

Courage, fuyons !

Quant aux amoureux, il s’agissait surtout de “runaways” (des fuyards), « des jeunes qui voulaient s’unir envers et contre tout, surtout la volonté de leurs parents », poursuit Ian. La tradition traversera même la Manche puisque Gretna Green est à l’honneur dans  Le film met en scène un Louis de Funès furax, à la poursuite de son fils Philippe parti en catimini en Ecosse avec sa fiancée anglaise Shirley… Même si le musée du Famous Blacksmiths Shop ne mentionne pas ce grand moment du cinéma français, il est truffé d’anecdotes croustillantes et parfois douteuses : on y découvre des histoires d’escrocs qui séduisaient des jeunes filles naïves aux héritages conséquents, des enlèvements, mais aussi des requêtes d’hommes qui écrivaient aux prêtres de l’enclume pour les aider à dénicher la femme idéale.

Covid-compatible

Aujourd’hui, les mœurs et les motivations ont évolué. « On a déjà trois enfants en bas âge. On s’épouse sur le tard et on ne voulait pas de grande cérémonie avec toute la famille. Juste un petit moment avec ceux qu’on aime vraiment », confie Jolene. Nos Irlandais ne sont pas les seuls à choisir cette destination pour ce type de raison. Pour nombre de couples, au-delà de l’aspect romantique, il ne s’agit plus d’échapper au consentement parental mais à d’autres contraintes : familiales, sociales ou culturelles. La pandémie ajoute un argument supplémentaire : la chose s’effectue rapidement, sans s’embarrasser d’invités. Un “vite fait bien fait” masqué avec un nombre de participants réduit.

Express union

Autre bon point en faveur de Gretna Green : une procédure simple et peu coûteuse. « Quelle que soit la nationalité des époux, il suffit que chacun envoie par la poste un certificat de naissance, une preuve du lieu d’habitation, une copie de pièce d’identité et, s’ils ont déjà été mariés, une preuve de divorce ou de décès de l’ex-conjoint(e). Le tout doit parvenir à nos services au moins 29 jours avant la date fatidique », explique Ian. Quant au prix, il suffit de s’acquitter de la somme de 125 £ (environ 150 euros) pour la cérémonie, pratiquée dans l’une des deux salles du bureau des mariages de la ville (ouvert 7 jours sur 7) par un officier de l’état civil. Le certificat* peut être approuvé sur une enclume, à l’ancienne, mais aussi sur une table, comme partout ailleurs. L’événement est laïc, ponctué par des échanges de vœux, des textes choisis par les mariés. La religion n’y est pas proscrite. On peut y apporter une touche protestante, catholique ou autre, et le tour est joué ! Alors que le nombre d’épousailles entre personnes de sexes différents continue de diminuer au Royaume-Uni, les chiffres de Gretna Green progressent : de 2 500 en 2020 à près de 4 100 en 2021 ! « Nous célébrons de plus en plus d’unions homosexuelles, toujours autant d’hétéros, et on vient du monde entier », ajoute Ian, en précisant qu’avant la pandémie, les pays les plus représentés étaient le Canada, les États-Unis, l’Australie ainsi que l’Allemagne, l’Espagne, la France mais aussi l’Asie du sud-est.

Money money

Plus de cinquante ans après Les Grandes vacances, on ne fait pas la queue pour se marier comme dans le film, mais presque… Après une période creuse dans les années 1980 et 1990, le secteur a repris du poil de la bête au début des années 2000. « C’est Internet qui a relancé le business », raconte Robert Johnston, accoudé au comptoir du Queens Head, le pub du coin. Ancien directeur de l’agence Gretna Green One Stop Weddings, celui que l’on surnomme Robert One Stop dans tout le village, fut le premier à proposer des packages sur le web incluant l’aspect administratif, la cérémonie, la calèche, les photos et les festivités. « Il m’est arrivé de procéder à une dizaine de mariages en une seule journée. Ça marchait du tonnerre, raconte-t-il. Puis la concurrence s’est mise au diapason, notamment la famille Houston, propriétaire des terres où se situent les bâtiments les plus emblématiques de Gretna Green comme le Famous Blacksmiths Shop et l’hôtel Gretna Hall qui, depuis le XVIIIe siècle, ont vu défiler des centaines de milliers de jeunes noceurs ».

Bas les masques !

Petit à petit, cette famille a eu raison de ses concurrents, dont Robert, qui a revendu son affaire en 2010. « Ils ont créé la société Gretna Green Limited et c’est elle qui a aujourd’hui le monopole », explique John, le patron du Queens Head. « Du coup, les couples n’arrosent pas trop l’événement au pub. Ils ont tendance à rester dans les hôtels du groupe car ils ont leurs propres bars et restaurants. Parfois, des invités débarquent la veille de la fête pour apprendre à se connaître mais c’est tout ». En effet, dans les packages proposés par Gretna Green Limited (dont les prix varient de 550 à 11 000 euros selon les prestations), les consommations sont comprises… « Bien sûr, la pandémie n’a rien arrangé… Les confinements successifs nous ont obligés à fermer », déplore John. Qu’importe, ce n’est pas un petit virus qui viendra à bout de trois siècles d’histoire. Dans les rues de Gretna Green, la pluie continue à tomber mais quelques visages osent encore se pointer. Jolene et Andrew font la bamboche à huis clos au Gretna Hall, en petit comité. Aux antipodes du climat, des néons et des frasques de Las Vegas, la petite commune continue de séduire les couples, pour l’heure en mode “Covid safe”… jusqu’au moment du baiser où l’on envoie valser les masques !

*Le mariage est reconnu selon la loi écossaise. Pour le valider dans un autre pays, des démarches administratives s’imposent auprès de votre consulat.

Texte et photo : Elisabeth Blanchet
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