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Accords parfaits

(c) Boby

Après un premier album remarqué pour son hard blues créole aussi inédit qu’inclassable, Delgres sort 4 Ed Maten. Le trio, baptisé du nom du héros antillais mort en luttant contre l’esclavage, revient plus mordant que jamais. Ses morceaux sont portés par des textes aux indignations positives, du son à l’énergie détonante et des influences métissées. Rencontre avec Pascal Danaë, chanteur, guitariste, auteur et compositeur.

Comment présenteriez-vous votre musique ? C’est du hard blues chanté en créole, un son rugueux qui grogne et qui groove. Il y a un contraste entre l’énergie qu’on dégage et les paroles, et ça c’est foncièrement créole et blues.

Vous l’avez inventée ? En quelque sorte oui.

Comment cultivez-vous justement ce style unique ? La guitare dobro est emblématique du blues. Quand je l’électrifie, le slam pico (écho très court) marque ce son vintage qu’on retrouve chez les Black Keys ou dans la voix d’Elvis. Les batteries de Baptiste (Bondy) et les sons des caisses claires rappellent les tambours des fanfares. Enfin, le son ronflant du sousaphone de Rafgee évoque la Nouvelle Orléans et les carnavals antillais. Soit un appel cuivré populaire et noble !

Pourriez-vous décrire l’alchimie musicale qui vous unit ? C’est un coup de foudre. On est très complémentaires, tout est naturel. J’ai apporté les premières chansons de Delgres que j’avais écrites. Baptiste et Rafgee s’en sont emparés, ça a fonctionné immédiatement et c’est devenu notre terrain de jeu. On n’avait plus qu’à partir sur les routes et triper ensemble. Dès qu’on se retrouve, la magie opère.

L’avez-vous vérifié durant la tournée du premier album qui vous a amenés jusqu’aux États-Unis et en Guadeloupe ? Oui. Une cohésion s’est installée. Elle était déjà forte au début mais maintenant on peut arriver n’importe où et jouer.

Vous chantez presque exclusivement en créole. Pourquoi ? Mes parents guadeloupéens sont arrivés en France à la fin des années 1950. Je suis né après, mais ils m’ont toujours parlé créole et raconté des histoires sur les Antilles. Chanter dans cette langue c’est se reconnecter avec leur histoire, celle de Louis Delgrès et de mon ancêtre Louise Danaë dont j’ai trouvé la lettre d’affranchissement. Cela me transporte sur ces terres que je n’ai pas connues pour exprimer des sentiments profonds, des douleurs sur lesquelles il faut mettre un pansement, tel un conteur familial. Je ne pourrais pas ressentir cela avec le français ou l’anglais. C’est un peu ma thérapie.

Vous abordez les thèmes de l’esclavage moderne, des héros ordinaires… En choisissant ce nom emblématique, vous êtes- vous donné une mission ? Pour le premier album je voulais rendre justice à Delgrès. Dans ce nouveau disque, je puise en effet dans tous ces thèmes. Tous les trois, on veut partager ce qu’on ressent de manière simple, sans passer pour des donneurs de leçons. On fait de la musique, il faut que les gens puissent entrer dans notre monde en toute liberté.

Pourquoi ce titre, 4 Ed Maten ? C’est l’heure à laquelle se levait mon père quand il est arrivé en France. Cet album et ce titre sont dédiés à tous ces héros anonymes qui se défoncent pour les autres. Avec le Covid on a redécouvert ces invisibles grâce auxquels la société fonctionne pendant qu’on dort encore.

Comment décririez-vous ce disque ? C’est une odyssée caribéenne, un conte sur la résilience et le courage de nombreux anonymes. D’abord, des Africains ont été déplacés vers plusieurs pays sous la contrainte. Bien des années après, mon père et d’autres Antillais sont arrivés en France, inaugurant une autre épopée. Dans tous les cas, il y a cette présence de la mer, du déracinement, de la séparation.

À quoi peut-on s’attendre sur scène ? On va retrouver toute l’énergie de Delgres. On progressera dans le bayou avec un côté très rugueux, puis l’instant d’après sur la mer. Avec La Penn la voile gonflera au clair de lune et on tracera. C’est un voyage immobile à la recherche d’émotions fortes renouant avec la lumière et un vif espoir.

En quoi cette tournée post-Covid sera-t-elle particulière ? Parce qu’elle existera (rires). Le public va savourer sa chance d’être au concert et nous d’être sur scène. Je pense qu’il y aura une communion extraordinaire.

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Propos recueillis par Audrey Chauveau / Photos : © Boby

A VOIR / Charleville-Mézières, 29.08, Plaine de La Macérienne, 14 h, 19 €, cabaretvert.com (Festival Face B)

 

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