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Grandeur nature

Arne Quinze atelier by Dave Bruel

À Mons, on se souvient en 2015 de The Passenger, immense assemblage de poutres en bois dont il s’est fait une spécialité depuis plus de 25 ans. Arne Quinze (prononcez “Couin’tze”) est de retour dans la cité du Doudou. Le BAM accueille la première grande exposition rétrospective consacrée à l’artiste flamand en Belgique. Entre installations monumentales, peintures, dessins et maquettes, My Secret Garden dévoile un processus de création hors norme, puisant ses racines dans la nature. Entretien.

Quel est votre parcours ? Je suis né à Gand et j’ai grandi en région flamande, dans un petit village près de Dixmude, au milieu de la campagne. En 1980, mes parents ont divorcé et j’ai suivi ma mère à Bruxelles. Devant cette ville très grise, pleine de béton, ma déception fut totale… C’est l’un des plus grands chocs de mon enfance. Vers 14 ans j’ai quitté la maison, je vivais dans la rue, volant ma nourriture pour survivre. C’est là que j’ai commencé à graffer pour recouvrir de couleur ces murs trop gris.

Quel fut le déclic dans votre carrière d’artiste ? L’inauguration d’une station de métro à Bruxelles. La veille j’étais entré dans les tunnels pour repeindre le train entièrement. Le lendemain, tandis que le maire coupait le ruban, entouré de politiciens, de gens bien propres sur eux la rame a débarqué avec toutes ces couleurs ! J’étais caché au milieu de la foule, les mains souillées de peinture dans les poches (rires). Certains étaient ravis, d’autres criaient au vandalisme mais tous ces gens se parlaient, partageaient une émotion. Ce fut un moment intense… J’ai alors découvert ma vocation : transformer les villes en musées de plein air. L’art reste élitiste, je veux le sortir de ses quatre murs.

Erysimum © Arne Quinze

Erysimum © Arne Quinze

Ce décloisonnement guide donc votre démarche ? Oui, j’avais 19 ans lors de mes premières grandes installations. Depuis, j’ai fait plusieurs fois le tour du monde mais je me pose toujours la même question : comment avons-nous pu rompre nos liens avec la nature ? J’essaie de comprendre pourquoi les humains naissent dans un bâtiment carré, froid, aseptisé, avant de s’enfermer à l’école puis dans un bureau, toujours entre quatre murs, pour se retrouver dans un cercueil, une boîte… Du début à la fin de notre existence, nous vivons en vase clos. Pourtant la beauté est là, devant notre nez.

Comment cet attrait pour la nature se manifeste-t-il ? Par exemple, autour de mon studio de Laethem-Saint-Martin, à côté de Gand, nous cultivons plus de 25000 plantes. C’est mon biotope, ma principale inspiration, comme Monet. Je peux y passer des heures à dessiner. Le jour où l’on pourra construire des villes arborant la même diversité qu’un jardin, elles seront plus humaines. Ainsi, j’essaie de planter une petite graine dans la tête des gens, pour les reconnecter avec la nature. Et c’est de plus en plus urgent. Depuis que je suis né en 1971, les hommes ont détruit plus de 30 % de la faune et de la flore, de façon irréversible, et même plus de 80 % des insectes !

Pourquoi privilégiez-vous de grandes constructions dans l’espace public ? Enfant, je m’imaginais de la taille d’un insecte en jouant dans le jardin, un peu comme dans Microcosmos. J’ai commencé à réaliser des ins- tallations en adoptant ce point de vue. Atteignant une certaine dimension, l’œuvre vous happe et vous devenez-vous même un insecte. En inversant la perspective la sensation est saisissante.

S’agit-il aussi de créer du lien entre les gens ? Oui, une dame âgée m’a d’ailleurs fait un magnifique compliment. Dans une lettre, elle me remerciait d’avoir construit une installation sous sa fenêtre, car depuis elle reparlait avec ses voisins. Dans un monde déjà surpeuplé, les logements s’annoncent de plus en plus exigus. Les espaces publics vont prendre une importance capitale, devenant nos principaux lieux de rencontres et de culture. J’aimerais qu’ils soient aussi foisonnants et colorés que mon jardin. C’est pourquoi nous travaillons constam- ment avec des paysagistes, des urbanistes…

Qu’en est-il d’ailleurs de vos gigantesques installations en bois édifiées sur la voie publique ? J’ai en terminé avec ce cycle. J’ai construit une quarantaine de ces œuvres à travers le monde, dont la dernière à Mons en 2015. De nouvelles recherches m’ont guidé vers un matériau malléable avec lequel je peux imaginer n’importe quelle forme : l’aluminium.

Vous permet-il également de pérenniser votre travail ? Absolument, car mes grandes installations en bois tiennent au maximum cinq ans… Sauf deux, qui résistent depuis 15 ans : une à Shanghai et l’autre à Beyrouth, alors qu’elle se trouvait dans le périmètre de l’explosion, c’est dingue…

Pourquoi cultivez-vous un art éphémère ? Parce que le vide laissé après le retrait de l’installation est plus important que celui existant avant. Au moment de son élévation dans le domaine public, des critiques positives et négatives surgissent immanquablement. Puis, la population s’approprie ma sculpture et, le jour où je la retire, on manifeste pour la garder ! Je crée donc un manque…

Que découvre-t-on dans cette exposition au BAM ? D’abord ces centaines d’esquisses réalisées dans mon jardin. Il y a aussi des maquettes de projets ayant abouti ou pas, des peintures, des sculptures. En progressant dans le musée, on se rapproche de la nature, le noir et blanc cède devant une explosion de couleurs. Nous avons aussi enrichi le jardin du musée de 5 000 plantes. Plusieurs sculptures en aluminium vont se dresser sur l’esplanade et la Grand-Place de Mons.

Pourquoi présentez-vous votre équipe comme un groupe de rock ? Je dirais même qu’on est devenu une famille. Nous avons voyagé autour du monde, parfois dans la jungle… Nous avons vécu pas mal d’aventures avec ses hauts et ses bas. A la faveur de cette passion, nous repoussons nos limites mais sommes hyper-structurés. Au fond, nous assumons les mêmes responsabilités qu’une équipe d’architectes.

Propos recueillis par Julien Damien // Photo du portrait : Dave Bruel (autres photos : Arne Quinze)
Informations
Mons, BAM

Site internet : http://www.bam.mons.be

Mardi au dimanche, 10h > 18h

29.05.2021>29.08.2021mar > dim : 10 h–18 h, 9 / 6 € (gratuit -6 ans)

À VISITER / www.arnequinze.com

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