Home Best of Interview Chilly Gonzales

Touches de folie

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Showman virtuose et clownesque, plébiscité par Drake ou Daft Punk, le pianiste le plus déjanté de notre époque accorde comme personne pop et musique classique – entre autres détours de pistes. Chilly Gonzales, alias Jason Beck, s’est d’abord fait connaître avec ses morceaux electrorap avant de révéler via la trilogie Solo Piano un sens de la composition lui valant des comparaisons avec Erik Satie. Souvent en pantoufles mais jamais pantouflard, toujours recordman du monde du plus long concert solo (plus de 27 heures !), le Canadien est attendu au Nouveau Siècle, à Lille, pour une performance à son image : érudite et généreuse.

Comment avez-vous découvert le piano ? Avec mon grand-père. J’ai commencé par jouer les morceaux classiques qu’il me suggérait et, en parallèle, je reproduisais ceux que j’écoutais à la radio.

Pourquoi cet instrument ? Le piano ramène toutes les chansons à l’essentiel, vers une forme presqu’atomique de musique. Lorsque je reprends un titre pop par exemple ou un cantique de Noël, je retire le superflu : le kitsch d’une petite boîte à rythmes, le son d’un synthé, la voix ou la reverb’… Bref, tous ces sons ou technologies qui datent la production. Ne reste au final que la mélodie sous la main droite, et les accords sous la gauche.

Finalement, quels seraient les liens entre Drake, Chopin ou Daft Punk ? La musique occidentale recherche le “storytelling”. Du classique à la pop, de Morrissey à Gabriel Fauré, il s’agit toujours de raconter une histoire. Généralement, les morceaux alternent moments de tension et de résolution, surprise et satisfaction. On forme ainsi des séquences assez complexes, notamment avec l’harmonie.

Écoutez-vous beaucoup de musique ? Non, pas vraiment. Lorsque que je compose, je tiens à garder mes propres mélodies en tête. La seule musique que j’écoute durant des semaines, c’est souvent la mienne.

Vos goûts semblent sans limites. Y-a-t-il des styles que vous n’aimez pas ? Je me sers de la musique comme d’un baume ou pour me donner de l’énergie, peu importe le genre. Alors c’est vrai, je n’écoute pas de reggae ni de rock, même s’il y a des exceptions comme AC/DC ou The Melvins. Mais les styles que je préfère restent le rap, le classique et le jazz. Au final, cela doit surtout me filer la “chair de poule”, je n’intellectualise pas.

Pourquoi ressentez-vous le besoin d’injecter de l’humour dans vos concerts ou vos productions ? Lorsque les gens rigolent ils sont plus ouverts. Mes morceaux soi-disant plus sérieux passent mieux lorsque la tension se dissipe. Mes concerts ne sont pas des spectacles comiques, mais je recours à l’humour pour créer une connexion avec le public et lui raconter une histoire.

Sur scène, vous aimez aussi décortiquer vos compositions. S’agit-il de “désacraliser” le piano ? Il ne s’agit pas de désacraliser la musique – pour moi elle est sacrée et devrait le rester – ni de vulgariser mon art. Mais, je sollicite volontiers les spectateurs pour rendre chaque soir unique.

D’où vient votre goût pour les records ou les battles ? J’ai longtemps appréhendé la musique comme une performance. C’est presque une aberration. Les battles ne m’intéressent plus depuis les années 2000 et mon fameux record. Par contre je n’oublie pas la fonction sociale du spectacle. Il s’agit de réunir les gens, et aujourd’hui plus que jamais. Je recherche désormais le partage, avec mes Re-introduction Etudes, mes masterclass ou le Gonzervatory.

Justement, quel est le but du Gonzervatory ? Rassembler de jeunes musiciens et les aider à devenir des “entertainers”, à être à l’aise sur scène. Ils ne doivent surtout pas réduire leur pratique à l’usage d’un ordinateur. Elle est avant tout affaire de partage. Même si le coronavirus a un peu changé les choses, cet art doit rester vivant.

Comment les Solo Piano sont-ils nés ? Le premier volume était un accident. Alors que je travaillais dans un studio (à Paris pour Jane Birkin, ndlr), je me suis emparé d’un piano dans une petite pièce. Pour relâcher la pression, j’ai commencé à composer et à enregistrer librement. À l’époque, je ne me doutais pas que cet album séduirait un nouveau public ! Solo Piano m’a aidé à assumer mon côté plus sérieux et bon élève, jusque-là caché par mon personnage electrorap underground.

Quel est le principe de votre dernier album, A Very Chilly Christmas ? Il est né durant l’été 2019. C’est bizarre de plancher sur des chansons de Noël durant cette période, mais j’en rêvais depuis une trentaine d’années. Depuis toujours je joue des chansons au piano en famille, entouré d’amis. J’avais trouvé plein d’astuces, des petits “twist” pour revisiter ces morceaux, leur offrir un côté rafraîchissant via un prisme imparfaitement parfait.

Comment avez-vous choisi les titres ? J’ai privilégié les morceaux de mon enfance et ces moments merveilleux où je jouais entouré de mes proches. Jarvis Cocker a participé au projet. Et avec Feist, nous avons écrit un titre original pour rendre le disque plus personnel.

Peut-on dire qu’il résonne avec “l’air du temps”, étant par endroit assez mélancolique… Au moment de composer cet album je n’imaginais pas que l’année 2020 serait aussi triste. Mais si j’ai pu traduire ce sentiment, tant mieux ! Noël est certes propice aux morceaux optimistes, joyeux, mais avec des sourires parfois forcés. Quelques airs mélancoliques sont donc bienvenus. Cela dit, ce disque contient aussi de la lumière, c’est un mélange entre mineur et majeur, car la vie est ainsi.

A quoi peut-on s’attendre lors de ce récital à Lille ? Honnêtement, je ne sais pas encore. Je commence à associer un autre instrument et un nouveau membre à mon groupe live. Ce concert lillois inaugure en quelque sorte cette formation. Je souhaite que mon spectacle évolue sans cesse, ce show sera donc très spontané et vivant.

Propos recueillis par Julien Damien
Concert(s)
CHILLY GONZALES
Lille, Nouveau Siècle
05.02.2020 à 19h0033/27€
CHILLY GONZALES05.02.2021 à 22h0033/27€

À ÉCOUTER / A Very Chilly Christmas (Gentle Threat / PIAS)

À LIRE / Plaisirs (non) coupables, Chilly Gonzales (Flammarion), 96 p., 15 €, editions.flammarion.com

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