Home Reportage Afghan Ski Challenge

Station spéciale

Photo © Bamyân Ski Club

Niché dans les montagnes de l’Hindu Kush en Afghanistan, à 180 km à l’ouest de Kaboul, le paisible petit village de Chapdara se transforme chaque début d’année en station de sports d’hiver. Cette métamorphose annonce une compétition improbable : l’Afghan Ski Challenge. Pour sa dixième édition, le défi reste le même. Il s’agit de promouvoir l’esprit du sport dans cette région isolée du monde et bousculer les codes d’une société traditionnelle.

L’organisateur n’en revient toujours pas. « Ils sont de plus en plus nombreux chaque année, c’est génial ! ». Les villageois attendent avec impatience le compte à rebours malgré la déroute soudaine de la sono. Sur la ligne de départ plus haut, une centaine d’Afghans rêve d’en découdre avec une poignée d’adversaires internationaux. Le contraste est saisissant. Des skis taillés dans de vieilles planches s’alignent à côté des dernières paires high-tech. Des tenues fluorescentes côtoient de longues vestes rafistolées. Certains se contentent même de sandales et de vieux bâtons. Les participants se saluent une dernière fois, prêts à s’élancer sur la piste évidemment non damée. Le micro fonctionne enfin et le top départ est donné ! Bienvenue à l’Afghan Ski Challenge, première compétition de ski-randonnée en Afghanistan, qui fête sa 10e édition.

Bouddhas éparpillés

Nous sommes au cœur de la province de Bamiyan, tristement célèbre pour avoir vu ses bouddhas géants millénaires dynamités par les talibans en 2001. Aujourd’hui délaissée par les fondamentalistes, la région bénéficie d’une certaine douceur de vivre, irréelle pour un pays en proie à la guerre civile. Ici aucune buvette ni chalet douillet, mais des cimes à perte de vue. Ce petit bout de terre agricole, coincé à 2 500 m d’altitude au pied des montagnes de l’Hindu Kush, peut s’enorgueillir d’accueillir une “compétition internationale” dans un climat pacifique. En 2019, le club de ski a même inauguré la toute première remontée mécanique du pays, conçue avec… une brouette et une moto !

Photo © Bamyân Ski Club

Photo © Bamyân Ski Club

Grand Suisse

« Au début on nous a pris pour des fous. Mais aujourd’hui, on nous vante les bienfaits de cette manifestation », raconte Christoph Zürcher, le reporter à l’initiative de ce pari audacieux. L’idée lui est venue alors qu’il était coincé dans cette région pour un reportage en 2010. « En bon Suisse, je me suis dit que ce serait sympa de parcourir ces montagnes à skis ». De retour à Zurich, il en parle autour de lui et le Bamyân Ski Club voit le jour en 2011, dans un pur esprit ludique et sportif. Christoph revient dans la province avec du matériel et un coach pour entraîner les plus téméraires. Les habitants n’ont pas tout de suite compris l’intérêt de ce curieux défilé. « On ne savait même pas que descendre une montagne enneigée était un sport », raconte un villageois. Le tout premier médaillé de l’Afghan Ski Challenge fut d’ailleurs un mécanicien qui ne connaissait rien aux joies de la glisse le mois précédent…

Photo © Bamyân Ski Club

Photo © Bamyân Ski Club

Toucher du bois

Depuis lors, des instructeurs étrangers sont envoyés dans la région chaque hiver, une école de ski tourne grâce aux dons du club (20 000 euros par an). Une vingtaine de filles, souvent mises à l’écart en Afghanistan, rejoignent même la compétition. Résultat, l’équipement sportif devient insuffisant et les locaux affûtent eux-mêmes leurs lattes. Une catégorie Wooden Ski (“skis en bois”) a ainsi été inaugurée pour ne pas pénaliser les Afghans.

« Je ne sais pas si ce sport est un facteur d’intégration mais il apporte de la joie dans la région, confie Christoph Zürcher. Le climat est très rude ici, particulièrement l’hiver et le tourisme en cette saison n’existait pas il y a dix ans. Même si cela reste mineur, cette compétition apporte sa petite contribution économique ». De leur côté, les locaux semblent ravis de véhiculer une image positive du pays, loin des attentats relayés par les médias.

Photo © Bamyân Ski Club

Photo © Bamyân Ski Club

Guerre et paix

Pour cette dixième édition, la compétition de ski-randonnée continue d’attirer les candidats. Quatre-vingts skieurs afghans, et une dizaine d’étrangers, vont s’affronter sur les pentes du petit village de Chapdara. Sans préjugés sur la situation parfois hasardeuse des lieux, Oscar (un tranquille agriculteur de maïs de l’Indiana) se confie sur sa première participation : « J’ai skié l’année dernière en Irak et les gens étaient heureux de nous rencontrer. C’est aussi important de soutenir le peuple afghan. Ce genre d’événement dresse un pont entre les cultures ». Si cet Américain peut circuler en Irak ou en Afghanistan, c’est grâce à l’agence anglaise Untamed Borders, spécialiste des séjours culturels dans les pays dits “à risques”. James Wilcox, le fondateur, y emmène plus d’une centaine de touristes par an. Des Australiens, Anglais ou Finlandais seront présents pour cette édition. « Nous proposons des séjours en Afghanistan depuis 2007, mais depuis deux ans la demande a augmenté. Les gens sont plus connectés qu’avant, ils viennent plus informés et confiants ».

Photo © Bamyân Ski Club

Photo © Bamyân Ski Club

Flamme olympique

En ce mois de février, les skieurs devront escalader une pente de 700 mètres avant de redescendre suivant un parcours balisé durant deux kilomètres. À ce jeu-là, le plus rapide n’est pas forcément le mieux équipé. Les Afghans se sont vite montrés très doués. C’est le cas de Sajjad Husaini et Alishah Farhang qui ont chaussé leur première paire de skis en 2012 avant de tenter les JO d’hiver de 2018. Ils furent les premiers à s’entraîner en Suisse en vue des sélections olympiques officielles, mais le très haut niveau international a relégué les jeunes athlètes aux portes de la compétition… Cet incroyable parcours est d’ailleurs raconté dans le film Where The Light Shines de Daniel Etter (2019).

Alishah, désormais instructeur, espère malgré tout obtenir de nouveaux sponsors pour s’entraîner aux JO de 2022. Il organise en 2020 la dixième édition de l’Afghan Ski Challenge – « et dire qu’au début je n’aimais pas du tout skier ! ». Malgré des soutiens financiers fragiles, l’avenir de la compétition semble assuré. Cinq clubs ont élu domicile à Bamyân, avec plus de 200 membres au compteur. Forte de ce succès, la région se prépare déjà au prochain événement de l’année, le marathon de Bamyân, organisé en octobre. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

Mélanie Kominek
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