Home Exposition Lesage, Simon, Crépin

Les Voix du Nord

Augustin Lesage, L’esprit de la pyramide, 1926
LaM, Villeneuve d’Ascq. © Adagp, Paris, 2019
Photo : N. Dewitte / LaM

Au milieu du XIXe siècle, aux États-Unis puis en Europe, la communication avec les esprits devint un phénomène de société. Originaires du Nord de la France, Lesage, Simon et Crépin furent guérisseurs mais aussi artistes spirites. Respectivement mineur, cafetier et plombier, ils s’en remettaient aux voix de l’au-delà… pour peindre. A partir de ces toiles mystérieuses, minutieuses et un peu magiques, le LaM retrace l’histoire et les secrets d’une pratique aussi fascinante que méconnue.

Tout commence dans la nuit du 31 mars 1848, au sein d’une petite ferme de Hydesville, dans l’État de New York. Les sœurs Fox prétendent communiquer avec un esprit (“Mister Splitfoot”) qui leur répondrait avec des coups portés sur les murs… Un canular, certes, confessé des années plus tard par ces trois friponnes, mais qu’importe, le spiritisme était né ! « Cette vague submerge vite les États-Unis puis l’Europe, et touche toutes les couches de la société », indique Savine Faupin, commissaire de cette exposition. Les guéridons se mettent à tourner, les planches Ouija fleurissent et les esprits les plus cartésiens testent l’écriture automatique, même Victor Hugo ! Entre autres objets étonnants, la première salle de ce fascinant parcours dévoile les tentatives de connexion du grand écrivain avec sa fille Léopoldine, morte noyée. Le dramaturge Victorien Sardou dessine lui la maison de Mozart sur Jupiter, guidé par on ne sait trop qui… « Cette mode connaît ensuite un regain d’intérêt après la Première Guerre mondiale, chacun cherchant à entrer en contact avec des proches disparus… ».

Anonyme, Portrait d’Augustin Lesage, n.d. Archives du LaM. Photo : N. Dewitte / LaM

Anonyme, Portrait d’Augustin Lesage, n.d. Archives du LaM. Photo : N. Dewitte / LaM

Esprit es-tu là ?

C’est dans ce contexte qu’Augustin Lesage perçoit des voix pour la première fois. Nous sommes en 1912. L’homme s’échine au fond d’une mine de charbon, à Burbure (Pas-de-Calais). Il entend : « Un jour, tu seras peintre ». Impensable, il n’a jamais tenu un pinceau ! « Il se demande s’il ne devient pas fou. Les voix reviennent, recommandent des couleurs, des endroits où se les procurer ! Un collègue l’introduit alors dans un cercle spirite et, lors d’une séance, sa main dessine toute seule… ». Il peindra sans relâche jusqu’en 1952, avant de perdre la vue.

Ancien mineur devenu cafetier à Fouquières-lez-Lens, Victor Simon reçoit la même injonction étrange, en 1933. « Il avouait ne même pas savoir ce qu’il exécutait, obéissant simplement aux messages ». Pour Fleury-Joseph Crépin, plombier-zingueur à Montigny-en-Gohelle, mais aussi compositeur pour fanfare à ses heures, les ordres sont plus précis. En 1939, on lui dit : « Quand tu auras peint 300 tableaux, ce jour-là, la guerre finira ». Il achève sa dernière toile le 7 mai 1945… Puis une seconde dépêche médiumnique lui parvient : « Après la guerre, tu feras 45 Tableaux Merveilleux et le monde sera pacifié ». Cette fois, il meurt avant le pénultième (dommage …). Cependant, comme ses deux prédécesseurs, il laisse une œuvre foisonnante, étonnante et collectionnée par André Breton ou Jean Dubuffet.

Victor Simon, La toile bleue, mai 1943 – octobre 1944. Dépôt du Musée des Beaux-Arts d’Arras. © DR. Photo : P. Bernard

Victor Simon, La toile bleue, mai 1943 – octobre 1944. Dépôt du Musée des Beaux-Arts d’Arras. © DR. Photo : P. Bernard

Psyché

Tous dictés depuis l’au-delà, les créations de Lesage, Simon et Crépin partagent de nombreuses caractéristiques, « notamment dans la composition, très symétrique », analyse Savine Faupin. On remarque aussi des temples, des monuments, des visages (par exemple Néfertiti chez Lesage, où la déesse égyptienne Nout, chargée d’accompagner l’âme des défunts), des éléments de la culture hindoue, orientale, de l’Égypte antique… et surtout une finesse du tracé impressionnante. « Chez Simon, c’est presque de la broderie ! Ses jeux de couleur offrent également des effets hypnotiques, psychédéliques ». On observe enfin chez chacun cette répétition obsessionnelle de motifs ou de formes géométriques. « Ces artistes devaient être en état d’autohypnose quand ils peignaient, leurs toiles sont tellement régulières et minutieuses… alors qu’ils n’avaient aucune formation ». Vous avez dit bizarre ?

Fleury-Joseph Crépin, Tableau n°106, 23 novembre 1940. LaM, Villeneuve d’Ascq. Donation L’Aracine en 1999. © DR. Photo : M. Bourguet

Fleury-Joseph Crépin, Tableau n°106, 23 novembre 1940. LaM, Villeneuve d’Ascq. Donation L’Aracine en 1999. © DR. Photo : M. Bourguet

Julien Damien
Informations
Villeneuve d'Ascq, LaM

Site internet : http://www.musee-lam.fr/

Collections permanentes accessibles du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Exposition temporaire et collections permanentes : 10 / 7 €
Collections permanentes : 7 / 5 €

04.10.2019>05.01.2020mar > dim : 10 h-18 h, 10 / 7 € (grat. -12 ans)
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