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Retour en RDA

Vue sur l'entrée de la gare fermée de la Schwarze Pumpe, août 2014.
La

Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à l’origine spécialiste du Moyen Âge, Nicolas Offenstadt étudie désormais les espaces publics contemporains. L’ancienne République démocratique allemande constitue son nouveau terrain de recherche. Cet historien s’est livré à une véritable “exploration urbaine” en visitant plus de 250 lieux abandonnés ou interdits en ex-Allemagne de l’Est. En résulte un fascinant ouvrage, Urbex RDA. A l’occasion du trentenaire de la chute du mur de Berlin, ces textes et photographies sondent un “pays disparu” à travers ses ruines. Une belle illustration de ce que l’auteur nomme l’histoire « hors les murs ».

Pourquoi s’intéresser à l’ex-Allemagne de l’Est à travers ses lieux désaffectés ? En tant qu’historien, la RDA m’a toujours fasciné, parce qu’elle a soigneusement entretenu la mémoire de la Première Guerre mondiale et de la Révolution de 1918. Puis, en la parcourant après 1990, j’ai été véritablement frappé par l’envergure des lieux abandonnés, partout, dans les villes comme à la campagne.

Quelle est votre définition de l’urbex ? Elle est simple : la visite sans autorisation ni but lucratif de lieux abandonnés. Mais ce terme recouvre des pratiques différentes. Certains “urbexeurs” sont des photographes passionnés par les ruines, d’autres recherchent l’aventure.

Où vous êtes-vous livré à cette exploration ? J’ai parcouru toute l’ex-RDA du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Mais sur place, même si l’expédition est bien préparée, il reste une part de hasard. Je me laisse donc guider par les opportunités.

Etes-vous resté dans la limite de la légalité ? On ne sait jamais vraiment ce qui est légal dans la pratique de l’urbex. Certains endroits ne sont pas fermés. D’autres comportent des signaux d’avertissement. Je me donne pour règle de ne jamais forcer un site, ni de m’infiltrer dans un lieu gardé ou actif.

Maison de la culture des travailleurs, intérieur, Halberstadt, août 2015. - Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michell

Maison de la culture des travailleurs, intérieur, Halberstadt, août 2015. – Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michell

Avez-vous une idée du nombre de sites restant à explorer ? En Allemagne, il en reste des milliers ! Les plus fréquents sont des immeubles préfabriqués typiques de la RDA (Plattenbauten), des bâtiments industriels ou militaires du XIXe siècle réutilisés à l’époque, des constructions modernes des années 1970…

Pour quelles raisons ces lieux ont-ils été délaissés ? Il y a plusieurs explications. Les gros sites industriels ont souvent disparu avec la liquidation de l’économie socialiste. Leur abandon est parfois postérieur, lié à certaines tentatives de reprises qui ont échoué. Enfin, une émigration massive vers l’Ouest a rendu de nombreux logements inutiles et abattre des bâtiments coûte cher…

Quelles sont vos découvertes les plus marquantes ? On trouve un tas de choses passionnantes : œuvres d’art, machines, objets personnels… Mais ce qui m’intéresse le plus, ce sont les monceaux d’archives : dossiers, classeurs… J’ai été frappé par ces salles remplies de papiers. Notamment dans une fonderie à Chemnitz ou une usine de meubles à Neustadt / Dosse, avec tous ces fanions de l’équipe de football locale détrempés au milieu des documents. C’est comme un monde arrêté net… On retrouve cette atmosphère au pied des immeubles géants de Halle-Neustadt où un passage commercial moribond devait offrir toutes les fonctionnalités d’une ville socialiste modèle…

Galerie marchande, cernée par des immeubles vides (Hochhausscheiben), Halle-Neustadt, janvier 2019. Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michel

Galerie marchande, cernée par des immeubles vides (Hochhausscheiben), Halle-Neustadt, janvier 2019. Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michel

Sur le plan iconographique, quel fut votre parti pris ? Je voulais que le texte et l’image entretiennent un dialogue permanent. Observer ces ruines doit faciliter la compréhension. L’urbex n’offre pas des conditions de prises de vue sereines : planchers et plafonds fragiles, bruits suspects, rencontres plus où moins bienveillantes, lumière capricieuse… Mes clichés témoignent de tout cela.

Comment avez-vous hiérarchisé toutes ces pièces ? Ce livre raconte l’histoire de la RDA et de sa disparition. On peut appréhender les chapitres comme en urbex, en vagabondant d’un site à l’autre, d’un texte à l’autre. Une lecture en continu permet aussi de saisir toute une époque. Les objets et les documents dénichés narrent les lieux, et au-delà le récit général du pays.

Polyclinique de Sket, Magdebourg, août 2015.

Polyclinique de Sket, Magdebourg, août 2015.

Pourquoi parlez-vous d’un “pays disparu” ? D’abord, l’unification s’est accomplie au détriment des édifices de la RDA. Plus encore, depuis les années 1990 de nombreux lieux ont été détruits : le plus célèbre étant le Palais de la République de Berlin. De même, quantité d’œuvres et sculptures de l’espace public ont été démontées, marginalisées ou rasées.

Comment expliquez-vous que la mémoire de la RDA soit à ce point occultée ? Je ne dirais pas occultée. On parle énormément de la RDA, à travers des émissions, des publications, des expositions. La question est plutôt celle de sa présence concrète, physique dans l’espace public allemand et la manière dont on en parle. Le discours dominant néglige l’expérience des Allemands de l’Est.

La différence entre les deux Allemagne persiste-t-elle ? Il y a des différences objectives importantes : les disparités salariales demeurent, le taux de chômage est aussi plus important à l’Est. Les élites économiques et culturelles sont majoritairement issues de l’Ouest.

Existe-t-il une nostalgie de la RDA ? Ce terme est un peu trop ambigu. Certes, nombre d’Allemands regrettent des aspects protecteurs du régime de la RDA : travail pour tous, protection sociale généralisée, soins accessibles. Il décrivent une société plus solidaire. Mais attention, chacun bricole aussi ses souvenirs et son identité. On peut vanter certains côtés de la RDA tout en se réjouissant de l’unité allemande et de la disparition du régime communiste.

Cette zone d’ombre est-elle exploitée ? Le souvenir de la RDA et celui des années 1990 reste un enjeu politique important. L’extrême-droite, et notamment l’AfD, l’instrumentalise efficacement. Ce parti se présente comme un représentant des Allemands de l’Est. Ils trouveraient, avec lui, un nouvel élan. « L’Est se lève » clame l’un de ses slogans…

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Propos recueillis par François Annycke / Photo © Nicolas Offenstadt / Albin Michel

A lire / Urbex RDA (Albin Michel), 258 p., 34,90 €, www.albin-michel.fr

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