Home Best of Interview Álvaro Peñalta

Figures de style

Álvaro Peñalta est un directeur artistique espagnol dont la production est aussi foisonnante qu’originale. Ce sont les natures mortes composées avec des figures géométriques de la série Point, les hallucinations orgiaques de Post Party ou encore le subtil jeu avec les visages et les perceptions du projet I See Faces. Exubérantes, bardées de références à la pop culture ou à l’histoire de l’art, ses œuvres marient design et photographie dans un maelström de couleurs et de formes. Entretien à visage découvert.

Quel est votre parcours ? Pendant toute mon enfance et mon adolescence, j’ai eu l’impression d’appartenir à une autre tribu. Ma famille était plutôt intéressée par les sciences et les mathématiques. J’ai donc vécu dans un environnement très peu créatif. Au collège aussi je m’ennuyais, m’intéressant seulement aux matières visuelles comme l’histoire de l’art, la biologie et la géographie. Obtenir le baccalauréat et abandonner mon village m’a ouvert une nouvelle voie. Dès lors, j’ai étudié la publicité et les relations publiques avant d’obtenir une licence en communication audio-visuelle à l’Université de Valence. Puis j’ai rejoint Barcelone pour devenir directeur artistique, notamment dans la pub. Entre deux commandes, je profitais de mon temps libre pour développer des projets personnels. Des réalisations où tu ne dépends pas d’un patron ou d’un client qui te coupe les ailes… D’ailleurs, grâce à ces images et à leur diffusion sur Instagram, j’ai obtenu de plus en plus de demandes intéressantes ! Avec mon ami Natxo Ramón, nous avons alors ouvert un studio à Valence, “Super Fuerte ” où nous effectuons la plupart de nos travaux (audiovisuels, photographiques…) .

See Faces, 2018 Creative & art direction : Álvaro Peñalta & Josep Prat Sorolla Photography : Hellobienstudio

See Faces, 2018
Creative & art direction : Álvaro Peñalta & Josep Prat Sorolla
Photography : Hellobienstudio

Quel est le principe de votre série I See Faces ? Après avoir mêlé pièces géométriques et matériaux translucides avec Natxo Ramón dans Point (2015), j’ai décidé d’aller plus loin. Nous avons imaginé cette nouvelle série en 2016 en sirotant quelques bières avec mon ami Josep Prat Sorolla (aka Sepe). Nous avons combiné des formes géométriques avec celles, organiques, d’un visage humain. Ce projet, qui a vu le jour en 2018, s’inspire du phénomène de la paréidolie. Vous savez, quand notre esprit identifie une forme familière dans un paysage, un nuage, des figures géométriques… I See Faces repose sur six personnages, telles six toiles blanches. Leur pâleur et leur statisme renvoient à l’art classique gréco-romain. Chaque modèle adopte une attitude, une expression figée. Des éléments déconstruisent et encadrent les visages. Ils sont comme des coups de pinceau rehaussant chaque image avec de la couleur.

Comment l’avez-vous conçue ? Le point fort de ce projet, c’est son making-of. L’élaboration fut assez laborieuse. Avant le shooting, nous avons étudié l’anatomie de chaque visage avant de façonner des pièces géométriques. Ensuite, nous avons transformé ces dessins en éléments tangibles : six installations pour chaque modèle. Au final, nous avons réalisé 50 structures en bois et en méthacrylate, à suspendre devant chacun des modèles.

I See Faces – The Making Of from Josep Prat Sorolla / SEPE on Vimeo.

Que souhaitiez-vous exprimer ici ? Je voulais montrer que l’on traduit en formes géométriques tout ce qui nous entoure. Nous jouons sur les contrastes entre le caractère artificiel des pièces et l’aspect organique de l’anatomie humaine. C’est le travail qui reflète le mieux ma personnalité, où le mariage entre photographie et design graphique est le plus subtil.

Vous semblez beaucoup aimer la géométrie… En effet, j’adore ça. La série Point repose sur des motifs se répétant à partir d’un point initial, engendrant de nouvelles compositions. Elle est inspirée du mouvement Bauhaus, notamment pour son emploi des couleurs primaires. Je privilégie toujours une gamme chromatique réduite, des proportions et mesures étudiées au millimètre près.

Comment choisissez-vous vos couleurs ? De manière assez spontanée, j’emploie des tonalités éclatantes, pour sortir le spectateur de notre si grise réalité.

Pouvez-vous nous parler du projet Post Party ? Cette série lorgne vers le cubisme. Il s’agit d’une collaboration avec des amis de Barcelone sur le thème de la fusion, un mix entre différents éléments. Pour cela, j’ai effectué une série de photographies dans laquelle différents personnages s’unissent dans une supposée orgie sexuelle, après une longue nuit de fête. Le résultat révèle lui-même une bacchanale de références visuelles. On y retrouve pêle-mêle des œuvres comme My Bed de Tracey Emin (1998), du Body Painting de Keith Haring sur Grace Jones, les clichés de jambes de Guy Bourdin (1928-1991), le film Tommy (1975, de Ken Russell) ou la scène perturbante de Shining (1980) dans laquelle un homme déguisé en ours s’unit avec un autre homme.

Cubbish : Post Party - Aftersex, 2016 Creative direction : Cubbish & Álvaro Peñalta Production : Berta O. Peig / Director of photography : Bernat Oller Art direction / postproduction : Álvaro Peñalta & Josep Prat Sorolla

Cubbish : Post Party – Aftersex, 2016
Creative direction : Cubbish & Álvaro Peñalta
Production : Berta O. Peig / Director of photography : Bernat Oller
Art direction / postproduction : Álvaro Peñalta & Josep Prat Sorolla

Vous faites aussi référence aux années 1990, n’est-ce pas ? Je m’inspire beaucoup de la culture pop, de l’art naïf, des films d’horreur de série B. Je cultive aussi de manière assez ironique une esthétique kitsch. Mais je préfère avant tout les années 1980, sûrement à cause de ses excès, artifices, techniques analogiques mais aussi par nostalgie. L’œuvre de Jean-Paul Goude m’a ainsi toujours fasciné. C’est incroyable de penser que ses photographies si flamboyantes sont réalisées sans aucune retouche digitale. Il réussissait parfaitement ses corrections à la main et ses images pourraient être reprises telles quelles dans des campagnes publicitaires actuelles.

hanging on the telephone, 2014 Art direction & postproduction : Álvaro Peñalta Photography : Mariano Bascuñana

hanging on the telephone, 2014
Art direction & postproduction : Álvaro Peñalta
Photography : Mariano Bascuñana

D’une façon générale, que souhaiteriez-vous que l’on retienne de votre travail ? Mon objectif est de faire passer un message tout en divertissant le spectateur, par l’humour ou une esthétique singulière. J’essaye de réaliser des projets ne passant pas inaperçus.

Quelles sont vos méthodes pour y parvenir ? Lorsqu’une idée me vient à l’esprit, je dresse un “moodboard”, croisant de multiples références : cinéma, mode, musique… générant ainsi un univers visuel. Ensuite, je réalise des esquisses, des tests de couleur. Pour être le plus créatif possible, je cherche à sortir de ma zone de confort. Ainsi, j’essaie de voyager, voir des expositions, sortir avec des amis, lire des livres, d’écouter beaucoup de musique ou de revoir des films classiques. Cette bouffée d’air peut inspirer de nouvelles idées. J’adore les blogs sur l’art, la publicité, le design d’intérieur, le cinéma et la mode. Un directeur artistique doit rester en veille dans tous les domaines.

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