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Giacometti, figures de style

Vue d'exposition (c) Cécile Fauré

Conservatrice en charge de l’art moderne au LaM de Villeneuve d’Ascq, Jeanne-Bathilde Lacourt est l’une des commissaires de l’exposition Alberto Giacometti, une aventure moderne. Elle décrypte avec nous l’œuvre de l’artiste suisse, et notamment son intérêt pour l’antiquité égyptienne.

Giacometti fut d’abord cubiste, puis surréaliste… Il s’est beaucoup cherché, n’est-ce pas ? Oui, comme nombre d’artistes il s’est frotté à pas mal de courants. Giacometti était le fils d’un peintre suisse reconnu (postimpressionniste). Il commença donc sa carrière avec des atouts mais aussi un Œdipe à régler. Dès le début, il s’est ainsi orienté vers la sculpture, et ne reviendra à la peinture qu’à la mort de son père. Malgré tout, c’est en suivant ses recommandations qu’il s’est installé à Paris, à l’Académie de la Grande Chaumière et dans l’atelier d’Antoine Bourdelle. Il s’est alors confronté à l’art contemporain. Il n’était pas forcément en prise directe avec l’avant-garde, comme le cubisme, dont il se méfiait. Il a d’ailleurs un problème avec l’abstraction…

J-B Lacourt (c)N Dewitte

J-B Lacourt (c)N Dewitte

Pourquoi ? Pour lui, la sculpture doit toujours représenter quelque chose. Il va beaucoup expérimenter mais ses productions cubistes resteront des têtes. Même derrière la plus abstraite de ses formes géométriques, il y a une figure humaine.

Justement, pourquoi se passionne-t-il tant pour la figure humaine ? Cela reste un mystère. Cependant, il a la volonté de capter la vie, ce qui constitue la personnalité de son modèle (à travers un portrait réaliste) mais aussi l’humanité au sens large. Il représente aussi des personnages debout ou marchant, en tout cas toujours sur deux jambes. Peut-être parce que la verticalité reste ce qui distingue l’Homme du monde animal…

Pourquoi exécute-t-il ces silhouettes longilignes et de très petites têtes ? Quand il revient au portrait, ses têtes deviennent en effet de plus en plus petites. C’est un processus qui le dépasse et ça le trouble. Il réalisera plus tard que c’est une manière de représenter, non pas le modèle, mais la perception qu’il en a. La distance modifie en effet les rapports au volume. Il y a aussi une autre raison : pour lui, une sculpture ne doit pas peser le poids d’un âne mort ! Il amincit ainsi ses œuvres pour qu’elles contiennent la légèreté de la vie, son mouvement et sa fragilité.

Vue d'exposition © Cécile Fauré

Vue d’exposition © Cécile Fauré

Il y a une autre constante chez lui, et qu’on découvre au LaM, c’est l’influence de l’antiquité égyptienne… Oui, Giacometti s’est inspiré de beaucoup de courants, mais une des dimensions les moins connues et pourtant les plus transversales de son œuvre reste l’antiquité égyptienne. Nous avons donc tenu à organiser le parcours de cette exposition en salles thématiques, afin de mêler des productions de différentes époques et révéler ce fil continu dans son travail.

Alberto Giacometti, Grande femme I, 1960

Alberto Giacometti, Grande femme I, 1960

Par exemple, à travers quelles pièces ? Certaines de ces sculptures sont très clairement inspirées par cette esthétique, comme sa Tête d’Isabel dont la coiffe renvoie à celle des pharaons, tandis que le buste et le port altier font référence à Néfertiti. On retrouve aussi cette influence dans la posture de ses créations les plus célèbres comme L’Homme qui marche ou Femme debout, très hiératique avec les bras le long du corps et les jambes soudées, ancrées dans le sol, le pied gauche légèrement avancé…

De quand date cette fascination pour l’Egypte ? Giacometti a découvert l’égyptologie très tôt, avant même son arrivée à Paris. Il possédait nombre d’ouvrages très érudits, dont Le Musée imaginaire de Malraux, et réalisera beaucoup de copies, c’est une de ses particularités. Il a d’ailleurs expliqué qu’il ne ressentait pas le besoin de voir les pyramides en Egypte, car les livres ou ses visites Louvre lui suffisaient.

Pourquoi cet intérêt ? La représentation antique égyptienne consiste à préserver une image des morts. Il s’agit d’un art funéraire. Cet aspect est prégnant chez Giacometti, car il souhaite aussi conserver une trace de l’individu et, plus largement, de la figure humaine. Comme Annette Messager finalement, dont l’installation que nous présentons en contrepoint de l’exposition contient aussi cette dimension: elle pose la question du devenir de l’humanité après de grandes catastrophes, comme celle de Fukushima. Ici, il ne reste plus que les silhouettes allongées de Giacometti. C’est une image du survivant…

Annette Messager, Sans légende, 2011-2012 Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © ADAGP, Paris, 2019. Photo : M. Bertola / Musées de Strasbourg

Annette Messager, Sans légende, 2011-2012
Musée d’Art Moderne et Contemporain
de Strasbourg © ADAGP, Paris, 2019.
Photo : M. Bertola / Musées de Strasbourg

A LIRE AUSSI : VISITE GUIDEE DE L’EXPOSITION ALBERTO GIACOMETTI, UNE AVENTURE MODERNE

Propos recueillis par Julien Damien
Informations
Villeneuve d'Ascq, LaM

Site internet : http://www.musee-lam.fr/

Collections permanentes accessibles du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Exposition temporaire et collections permanentes : 10 / 7 €
Collections permanentes : 7 / 5 €

13.03.2019>11.06.2019mar > dim : 10 h > 18 h,, 11 > 5 € / gratuit (-18 ans)
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