Home Best of Interview Le gang des vieux en colère

L'âge de raison

Photo GVC

On ne sait pas si c’était mieux avant, mais demain ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. En parlant d’hospices, nos vieux commencent à voir rouge. En Belgique, ils ont formé un gang, et mettent un sacré bazar dans le pays. Leur revendication ? Une retraite plus digne pour les générations futures. Leurs méfaits ? Transformation d’un McDo en maison de retraite, occupation d’un Apple Store, fausse attaque de banque à coups de pistolet à eau… Rencontre avec Michel Huisman, un gangster de 74 ans sacrément dur à cuire.

Quand avez-vous créé Le gang des vieux en colère ? En novembre 2017, lors d’une soirée entre amis. Nous étions une douzaine, on rigolait bien. Et puis, entre la poire et le fromage, l’un de nous a révélé qu’il touchait une retraite de 550 euros par mois. Cela a jeté un froid… Heureusement, il nous restait quelques bouteilles, et on s’est demandé comment agir pour que nos enfants et petits-enfants ne se retrouvent jamais dans cette situation. Nous avons donc lancé ce mouvement pour mettre la pression aux escrocs qui se succèdent au gouvernement.

Combien de membres votre gang compte-t-il ? Plus de 10 000 ! Notre noyau dur est constitué de 350 personnes. Un nombre qui nous permet d’agir dans les 24 ou 48 heures avec, toujours, au moins 50 activistes.

Quel âge faut-il avoir pour être un “vieux en colère” ? Il n’y a pas d’âge obligatoire. Mais les gens qui descendent avec nous dans la rue ont généralement plus de 60 ans. Du coup, les flics évitent de nous toucher. Ils ont peur de provoquer une fracture du col du fémur !

Opération cornet de frites ! Photo : GVC

Opération cornet de frites ! Photo : GVC

Votre âge serait-il donc un atout pour manifester ? Oui, et cela comporte un deuxième avantage. A la différence d’un actif, on n’a plus de plan de carrière, pas besoin d’une promotion… Quand on est vieux, on s’en fout ! On agit librement, c’est fabuleux !

Pourquoi êtes-vous en colère ? Parce que nos enfants courent le risque d’avoir une vie moins bonne que la nôtre. Et c’est insupportable.

Quelles sont vos revendications ? D’abord, le droit à la dignité. Les gens méritent de vieillir avec le minimum vital. Nous estimons qu’une pension doit s’élever à 1 600 euros net en 2019. Notre deuxième revendication concerne la sécurité sociale. Après la guerre, nos parents ou grands-parents ont créé cette institution suivant cette grande idée de solidarité. Or, elle n’a depuis cessé d’être mise à mal. Il faut la revaloriser immédiatement.

S’agit-il aussi de vous battre pour une société plus juste ? Oui, mais notre socle reste les retraites, surtout celles des générations futures. Notre mouvement est constitué à 95 % de retraités furax et de pré-retraités hargneux. Mais on se bat pour ceux qui deviendront vieux un jour, car pour nous c’est cuit ! Un mouvement altruiste n’a rien à perdre.

Avez-vous déjà obtenu des avancées ? Oui, auxquelles les Français n’ont pas eu droit ! Notre gouvernement a complètement reculé sur son projet de réforme de pension à points. Mais nous savons qu’elle est au frigo, pour mieux ressortir…

Vous ne faites pas confiance aux élus ? Bien sûr que non, ils confondent vieux avec séniles ou Alzheimer… Ils sont prêts à nous laisser crever dans la misère sans crainte d’un revers électoral. Bref, ils nous prennent pour des cons. Leur mépris sera leur perte.

Mon papy à moi est un gangster…

Mon papy à moi est un gangster…

Quels sont vos modes d’action ? Nous avons par exemple transformé un McDo en maison de retraite. Pendant plusieurs heures, nous y avons joué au bingo, fêté l’anniversaire d’une de nos petites vieilles… Il s’agissait de dénoncer le fait que cette société ne paie que 2 % d’impôt en Belgique. C’est insupportable au regard de ses milliards de bénéfices (comme Amazon ou Google). Avec cet argent, nous pourrions garantir une pension plus digne. Au final, nous avons été délogés, avec le sourire, par des policiers qui trouvent notre combat légitime. Récemment, nous avons refait le coup à l’Apple Store de Bruxelles.

Oui, on vous y a vus déguisés en Pac-Man géants, dévorant des ballons en forme d’euros… L’humour semble être l’une de vos armes favorites ? Oui, quand on est vieux, si on ne rit pas, on est mort ! Nous défendons donc notre cause ardemment, mais dans un grand éclat de rire.

Êtes-vous politisés ? C’est un mouvement citoyen qui dépasse les formations politiques, plutôt transpartisan. Nous accueillons des syndicalistes, des gens de droite et de gauche, voire d’anciens députés, à condition que personne n’affiche sa couleur.

Avez-vous des leaders ? Non, plutôt des porte-paroles. Nous en comptons dix, dont je fais partie. Contrairement aux gilets jaunes, on ne peut pas scander n’importe quoi. Nous sommes plutôt solidaires de leur mouvement, mais nous avons une charte. Vous n’entendrez pas chez nous le moindre murmure sexiste ou raciste… Rigoler, oui. Mettre le feu, hors de question.

Vous sentez-vous proches d’autres mouvements ? Oui. Nous soutenons aussi les jeunes luttant pour le climat. Se battre pour la retraite de nos enfants, alors qu’ils n’auraient plus de planète, ce serait incohérent !

Comment le public accueille-t-il votre action ? Nous n’avons qu’un an d’existence officielle et notre première action a eu lieu en avril 2018. Mais les réactions sont très positives, nous sommes déjà 10 000 ! Durant les manifestations les gens nous encouragent, y compris la police et les gendarmes.

Quel était votre métier ? J’étais metteur en scène de théâtre et réalisateur de cinéma. J’ai produit le seul film toujours interdit en Belgique, Ras le bol, une œuvre antimilitariste avec Xavier Gélin et Jean-Pierre Castaldi. Rebelle j’étais, rebelle je reste !

Pensiez-vous devoir sortir dans la rue à votre âge, à l’époque ? Pas du tout, mais c’est assez jouissif. Nous y allons avec l’expérience des claques reçues. Du coup, évitant quelques pièges, on se distingue par notre jeunesse d’esprit et notre inventivité.

Avez-vous l’impression que le sort des personnes âgées n’est pas une priorité pour le gouvernement ? Complètement. On se dit que nous sommes fragiles et isolés. Nos gouvernants sont prêts à nous laisser crever dans la misère sans crainte électorale. Personne ne nous regarde plus. Mais voilà… Les vieilles et vieux gangsters se rassemblent, et ils sont sacrément fâchés !

Quelles sont vos prochaines actions ? Je ne vous dirai rien! Les policiers ont de grandes oreilles, ils nous trouvent certes sympathiques, mais ont une mission à exécuter…

Jusqu’à quand allez vous mener cette mission ? Jusque fin mai, au moment des élections fédérales nationales et européennes. Ensuite nous prendrons trois mois de congés… Pour mieux redescendre dans la rue en octobre !

Propos recueillis par Julien Damien
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