Benjamin Stora
Devoir(s) de mémoire
Né à Constantine en 1950, l’historien Benjamin Stora est un spécialiste de l’Algérie. Depuis 40 ans, ses nombreux ouvrages explorent les liens entre ce pays et la France. Invité en tant que “grand témoin” en marge de l’exposition Photographier l’Algérie, et à l’aube de l’élection présidentielle algérienne, le 18 avril, il éclaire cette mémoire partagée.
Comment la photographie apparaît-elle en Algérie ? Au moment de la colonisation. A la fin du XIXe siècle, des voyageurs ont circulé à travers l’immensité algérienne. Ce fut la découverte d’un Orient lointain par des touristes fortunés prenant des clichés exotiques de villes, de paysages… Les militaires utilisent aussi l’image pour comprendre l’espace, les populations. Enfin, il y a les photos prises durant la guerre d’Algérie par l’armée française, les soldats ou les appelés du contingents.
Quand les Algériens se sont-ils photographiés eux-mêmes ? Beaucoup plus tard, à partir des années 1920 -30. Il y a aussi des photos prises dans le maquis, mais ce n’est pas une période propice. Les Algériens craignent que ces documents tombent entre les mains de l’armée française. C’est surtout après l’indépendance que ces images se multiplient.

Famille Gaumont, 1911 © Musée Nicéphore Niépce,
N’y a-t-il pas un déséquilibre entre images de colons et celles de colonisés ? Oui, car pour en produire, encore faut-il posséder un appareil, qui durant longtemps coûta très cher. Ce sont surtout les militaires et les colons qui imposent leur regard. Cette grande disparité sera très spectaculaire durant la guerre d’Algérie, entre les masses d’images produites par l’armée française et celles, au nombre très faibles, des Algériens.
Les Algériens ne sont-ils pas les grands absents de la représentation de leur propre histoire ? En fait, ils sont très présents, mais sous une forme folklorisée, réduits à une dimension de carte postale. On trouve aussi beaucoup de représentations de femmes “indigènes” dans leur appartement. Ce que les peintures orientaliste du XIXe siècle montrent, on le retrouve dans la photographie.
Pourquoi le passé colonial est-il si dur à surmonter, entre la France et l’Algérie ? Il est difficile de tourner la page d’une histoire qui a duré un siècle et demi. La France a laissé des traces importantes dans ce pays. A la différence du Maroc ou du Sénégal, l’Algérie ne fut pas simplement une colonie, c’était un département français, donc rattaché politiquement et administrativement. La séparation fut très ardue.

(c) Mohamed Kouaci JOURS D’INDEPENDANCE 5 JUILLET 1962
Qu’en est-il de la liberté d’expression en Algérie ? Ça dépend. Des films se tournent, des expositions se montent, mais il y a des difficultés. Par exemple, la fiction réalisée par Bachir Derrais sur Larbi Ben M’Hidi, figure de la révolution, a été censurée. Les sujets liés à la guerre restent extrêmement épineux. En l’occurrence, ce personnage se bat sur le terrain politique, pas seulement les armes à la main. Pour autant, En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui, instantané de l’Algérie contemporaine, a très bien marché.
L’image ne tient-elle pas un grand rôle dans le maintien du pouvoir ? Bouteflika est plutôt fantomatique… Il y a peu de représentations de lui, et celles que l’on voit sont très anciennes. C’est assez inédit, surtout dans un monde où l’on est totalement envahi par les images.
Quel est le paysage politique algérien ? Abdelaziz Bouteflika fut l’artisan du retour à la paix, après dix ans de sanglante guerre civile. Il a profité de la hausse du prix du pétrole entre 2004 et 2014 pour lancer de vastes programmes d’infrastructures et désendetter le pays. Pour l’heure, seuls deux sérieux prétendants, Abderrazak Makri, chef du Mouvement de la société pour la paix, principal parti islamiste, et le général à la retraite Ali Ghediri, ont annoncé leur candidature contre lui.
Quelle est la situation de l’économie ? Elle reste ultra-dépendante des hydrocarbures. La corruption demeure très répandue. Le quatrième mandat de Bouteflika a été marqué par la chute des cours du pétrole, qui a durement touché le pays, où un tiers des jeunes de moins de 25 ans est au chômage. La tentation du départ est grande, et les “harragas” (ndlr : les migrants tentant la traversée clandestine de la Méditerranée vers l’Europe) se sont multipliés cette année.
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