Home Exposition Night Fever

Voyage au bout de la nuit

Despacio sound system, New Century Hall, Manchester International Festival, July 2013. © Rod Lewis

A Bruxelles, l’ADAM retrace l’épopée du clubbing sous le prisme du design et de l’architecture, des années 1960 à nos jours, du rock à la techno en passant par le disco. Ces films, photos, mixtapes (dont les originales de Jean-Claude Maury, DJ culte du Mirano), maquettes, mobiliers et même une installation immersive dessinent une passionnante histoire de la musique.

S’il se joue souvent entre quatre murs, le nightclubbing est avant tout affaire d’évasion. Pour créer un monde propice à toutes les échappées, le design joue un rôle prépondérant. C’est tout le propos de cette exposition, aussi originale que vaste, car la discothèque est un concentré de pop culture. « Elle réunit toutes les disciplines : la décoration, l’architecture, la musique, la mode, le graphisme… c’est une œuvre d’art totale ! », observe Katarina Serulus, commissaire de Night Fever.

Guests on the golden sofa DS-600 by de Sede, Studio54, New York. © Bill Bernstein

Studio 54 © Bill Bernstein

Avant-garde

Le parcours privilégie les noms emblématiques, et débute dans les années 1960. « Certes, il y avait déjà des boîtes avant, mais c’est vraiment après-guerre qu’elles s’apparentent à des laboratoires ». Investis par les designers italiens, alors en vogue, ces espaces utopiques deviennent multifonctionnels, tels L’Altro Mondo à Rimini (1967) ou le Piper à Turin (1966) conçus par le collectif radical Gruppo Strum. Deux endroits où l’on pouvait danser, mais aussi assister à des expositions, des performances, des pièces, des concerts (de Ray Charles, James Brown, Tina Turner…). Au même moment, à New-York, Jim Henson (le père des Muppets) rêve d’un dancing multimédia « en forme de dôme, dont les murs seraient couverts de miroirs. Il voulait y projeter ses films au rythme d’une musique psyché, formant une image kaléidoscopique immergeant le visiteur ». Dans le même esprit, les 1200 m2 de l’Area, ouverts en 1983 dans la Grosse Pomme, changeaient toutes les six semaines ! Parmi les décorateurs, on trouve Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Andy Warhol…

Monte le son !

Îlot de liberté artistique, le club est aussi un lieu d’émancipation, en particulier pour les minorités : ethniques, sexuelles, sociales… A l’image du Paradise Garage, temple du funk et du disco (et berceau de la house garage, donc). Installé en 1977 au premier étage d’un parking couvert, il fut durant dix ans LE spot des communautés gays, noirs ou latinos, sous le haut-patronage de Larry Levan et un sound system de 10 000 watts. « C’est avec lui que naquit le culte du DJ », précise notre guide. Ce qui n’aurait pas déplu aux platinistes officiant à The Haçienda, à Manchester, relégués dans la cave avant d’être placés sur un piédestal.

La friche c’est chic

Temples de la jet-set (le Studio 54 et son fameux cordon de velours) ou de la mode (à Bruxelles, Le Mirano accueillit les premiers défilés de Walter Van Beirendonck), les dancefloors ont investi tous les types d’habitats. A Berlin, Le Trésor a éclos dans la salle des coffres d’un ancien magasin, le Café d’Anvers réunit quant à lui ses fidèles dans une église du XVIe siècle… « Il s’agit souvent d’endroits abandonnés, en tout cas liés à l’histoire de la ville, ajoute Katarina. En Allemagne, l’effondrement du mur a provoqué la réaffectation de nombreuses friches ». Qu’en est-il de l’avenir du clubbing ? Citons les boîtes éphémères, modulables ou même “mobiles”, telle The Mothership, imaginé par les designers d’Akoaki. Inspirée de la soucoupe volante utilisée sur scène par George Clinton avec Parliament-Funkadelic, cette cabine de DJ se déplace dans le quartier en ruine d’Oakland North End, à Détroit, histoire de semer de bonnes vibes. Toute sortie n’est donc pas définitive…

DJ Larry Levan at the Paradise Garage, New York, 1979. © Bill Bernstein

DJ Larry Levan at the Paradise Garage, New York, 1979. © Bill Bernstein


 

 

Studio 54

Calvin Klein Party at Studio 54, 1978. © Hasse Persson

Calvin Klein Party at Studio 54, 1978.
© Hasse Persson

Inaugurée en 1977 à Broadway dans une ancienne salle d’opéra, cette boîte fut le lieu de tous les excès, et surtout une vitrine à une époque où le culte de la célébrité prenait un tour nouveau. à l’ADAM, les photos de Bill Bernstein et Hasse Persson témoignent des fêtes dantesques, voire orgiaques (en tout cas cocaïnées…) qui se déroulaient dans ce haut-lieu du disco. Parmi les habitués citons Grace Jones, Andy Warhol ou toute la bande du Saturday Night Live. Miné par les dealers, le Studio périclita en 1986.


The Haçienda

Haçienda, 1982.

Haçienda, 1982.

Fondée en 1982 par le label Factory Records et New Order, le club mythique de Manchester fut l’un des premiers à diffuser en Europe la techno de Detroit ou l’acid-house de Chicago. Cet épicentre de la culture rave investit un ancien entrepôt de bateaux. Il fut dessiné par Ben Kelly dans un style industriel (ces bandes de signalisation noires et jaunes) et ne rencontra pas un succès immédiat (les Mancuniens hésitèrent avant de retourner à “l’usine” le week-end…). Il ferma en 1997, suite à une overdose d’ecstasy.


Berghain

Philip Topolovac © Julien Damien

Philip Topolovac © Julien Damien

C’est le plus célèbre club techno du monde. L’un des plus impénétrables, aussi. Branché depuis 2004 dans une centrale électrique désaffectée, gardé par Sven Marquardt, le physio au visage tatoué, l’endroit est soumis à une stricte interdiction de filmer ou de photographier – ce dont s’amuse l’artiste Philip Topolovac avec sa maquette en liège nommée I’ve never been to Berghain. Chauffé par les meilleurs DJ, le club accueille aussi des expos, des performances ou deux backrooms. Tout ce qui se passe au Berghain…

Julien Damien
Informations
Bruxelles, ADAM - Brussels Design Museum
21.11.2018>05.05.2019tous les jours : 10 h > 18 h, 8 > 5 €, gratuit (- 6 ans)
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