Home Best of Interview Jean-Louis Murat

Hors-piste

Tempétueux, poète, outrancier, aventureux, libre… Jean-Louis Murat est définitivement un cas à part dans le paysage musical français. Un auteurcompositeur- interprète comme il en existe peu – ou plus. Dans Il Francese, son 22e album, l’Auvergnat bourru (pléonasme ?) télescope Kendrick Lamar et le beau-frère de Napoléon, marie guitares et machines, groove et élégance, voyage de Naples à l’Amérique. Rencontre sans langue de bois, à la veille d’une tournée dans nos contrées.

Comment cet album est-il né ? De l’envie d’écrire des chansons à la française, avec les mêmes sons et dans l’état d’esprit de l’album précédent. Sans Travaux sur la N 89, il n’y aurait pas eu Il Francese.

Justement, dans Travaux sur la N 89, vos chansons prenaient un tour très électronique, vous étiez en rupture… Oui, sinon nous sommes condamnés à composer toujours la même chose. J’aspire à plus d’aventures, à ne pas me satisfaire d’une conception “planplan” de la chanson française.

S’agit-il de vous réinventer ? En tout cas de trouver une nouvelle excitation. Chaque fois qu’une habitude s’installe, je balance un grand coup de pompe pour que tout s’écroule. C’est ma nature, je dois me remettre en question.

Pourquoi ce disque se nomme-t-il Il Francese ? En référence à Joachim Murat, c’était le roi de Naples (en 1808, mais aussi le beau-frère de Napoléon Ier, ndlr) et c’est ainsi qu’on le nomme là-bas. J’adore cette ville et m’y suis toujours senti, moi aussi, “Il Francese”.

Pourquoi vous réincarnez-vous ici en Joachim Murat ? C’était le meilleur cavalier de son époque, je ne peux m’imaginer meilleur ancêtre supposé ! Il avait aussi un look incroyable, il dessinait les costumes de ses hommes et emmenait des couturières sur les champs de bataille. Il se changeait toutes les heures. Les troupes s’arrêtaient, il défilait et tout le monde l’applaudissait avant de reprendre le combat. Il avait un côté John Galliano.

Vous citez aussi Marguerite de Valois, pourquoi ? C’était la reine des Auvergnats. C’est un clin d’œil à mes racines.

Vous évoquez ici l’Italie, l’Auvergne, l’Amérique… Au final, qui est Jean-Louis Murat ? Je suis à la fois Auvergnat, mais je me sens aussi Américain, cow-boy et indien, Européen, très XVIIe et XIIe siècle…. Je ne me vois pas de limite, je suis une sorte d’humeur traversant toutes les époques, je ne suis pas figé dans ce présent épouvantable. Je préfère voyager, c’est plus fort que moi, comme on se promène dans les rayons d’une bibliothèque.

Que raconte ce disque ? J’aimerais qu’on me le dise. Moi, je n’ai pas envie de le savoir. Expliquer a posteriori ce qu’on a réalisé, c’est s’aventurer sur un terrain extrêmement glissant.

Comment avez-vous écrit cet album ? Je tiens à composer comme si j’étais en état d’apesanteur. Généralement les chanteurs de variétés cherchent un concept, une histoire… Moi, je pars à l’attaque sans aucun plan. Les justifications, c’est du bobard et le pain quotidien des journaux. Ce “storytelling” pensé par des imbéciles discrédite en grande partie les artistes. Même les footballeurs deviennent plus intéressants, alors qu’ils se situent au niveau zéro de la parole.

Est-ce donc si aléatoire ? Oui. Arrive toujours un moment où la vie n’a plus aucun sens. Je me fais alors tellement chier que je me mets au piano, et la chanson vient (rires). J’écris les paroles et la musique en même temps.

Photo Frank Loriou / Agence VULa couleur de cet album est très “groove”. Dans Gazoline par exemple, vous citez Kendrick Lamar… Oui, je l’adore, comme Frank Ocean. Je les écoute quasiment tous les jours dès que j’ai cinq minutes ou dans la bagnole, plein ballon ! J’aimerais avoir leur âge et produire des titres comme eux. Leur énergie me plaît.

Vos textes sont aussi plus épurés. Pourquoi ? Pour privilégier des mélodies facilement assimilables. J’ai donc utilisé beaucoup moins de mots. J’ai d’ailleurs l’impression qu’ils effraient les gens…

Vous trafiquez aussi beaucoup votre voix… J’adore ça ! C’est assez enfantin et très amusant, comme de sauter dans des flaques d’eau, balancer de la boue partout. J’ai l’impression de réaliser des bruitages pour dessins animés.

A quoi renvoie le titre Sweet Lorraine ? C’était un motel dans la banlieue de Memphis, le seul endroit où Blancs et Noirs pouvaient se mélanger. Il était attenant au studio Stax et ce son si particulier vient de là.

C’est donc la soul façon Otis Redding qui vous inspire, n’est-ce pas ? Oui, j’ai été biberonné à ça, c’est ma musique préférée. Celle qui donne envie de se lever de sa chaise et danser. La musique qui fait réfléchir… pffff, ça va (rires).

L’album se termine toutefois de façon triste avec les morceaux Rendre l’âme et Je me souviens... Pourquoi ? Parce que ce disque est dédié à un copain, Christophe (Pie, ndlr) avec qui j’ai joué durant plus de 30 ans. Il m’a accompagné jusqu’au bout et il est mort au mois de janvier. Ces deux dernières chansons parlent de lui et, en creux, des absents, donnant cette couleur nostalgique à cet album.

Comment adaptez-vous cet album sur scène ? Alors là, ça va être très simple. J’ai un micro, une guitare et autour de moi un bassiste et un batteur. D’ailleurs, je ne reproduirai pas le disque. Chaque soir j’essaierai de recréer les chansons.

Comment appréhendez-vous la scène ? Quand le concert se passe bien, c’est le meilleur endroit du monde, et le pire quand ça se déroule mal. En général, je donne un bon concert sur deux (rires).

Ressentez-vous encore cette adrénaline des débuts ? Oui. Je le cache bien sous une attitude désinvolte, mais souvent je suis mort de trouille.

N’est-ce pas un trac nécessaire ? Non, j’en ai marre d’avoir mal au bide en montant sur scène (rires). Sinatra n’avait pas le trac et ça marchait plutôt bien pour lui… En réalité, je crois que plus t’es mauvais, plus t’as le trac.

Quel regard portez-vous sur la scène française ? Je ne sais pas, je ne l’écoute pas. Je ne pense pas que le salut viendra d’ici. La culture dominante est américaine, nous ne sommes que de petits valets bien serviles, il n’y a pas vraiment de créativité en France. On produit juste une musique de l’écho, comme de petits rapporteurs, de petits singes. Moi aussi je suis un artiste de l’écho. J’attends toujours la nouvelle Sheila ou, disons, le nouveau Ringo Willy Cat. Pendant ce temps-là, j’enregistre des disques. Je n’ai pas foi en ce que font mes compatriotes. Mais bon courage à eux !

Vous êtes dur, en musique électronique les Français se défendent, non ? Oui, très bien, mais n’importe quel con peut être bon en électronique…

Et que dites-vous du rap français ? Souvent, ça se résume à du Henri Tachan sur une base de Barry White, pour un résultat nul… D’ailleurs, il y a plein de Belges qui déboulent maintenant ! A la télé, la radio… C’est très rigolo cette invasion, une espère de mode, comme boire de la Stella Artois. J’ai été con, j’aurais dû dire que j’étais belge. Il faudrait que je change de nom (rires). L’avenir est à eux, c’est bouché en France, on est mal.

Cette époque ne vous plaît pas tant que ça, apparemment… Non, c’est parfait, formidable. Je suis pile poil dans mon temps (rires).

Propos recueillis par Julien Damien
Concert(s)
Jean-Louis Murat
Liège, Reflektor
12.12.2018 à 20h0029€
Jean-Louis Murat + Matt Low
Bruxelles, Botanique

Site internet : http://www.botanique.be

13.12.2018 à 19h3030>24€
Jean-Louis Murat
Lille-Hellemmes, Le Chapitô
07.12.2018 à 20h0037€
Articles similaires