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Pleins pots

(© Victoire Di Rosa)

Inventeur de la Figuration libre (avec Robert Combas, entre autres) mais aussi de l’Art modeste, Hervé Di Rosa demeure une figure (libre) de la création des XXe et XXIe siècles. Empruntant aussi bien au punk qu’à la bande dessinée ou au graffiti, l’œuvre du Sétois fait rimer arts contemporains et populaires. Le musée du Touquet-Paris-Plage dévoile une soixantaine de ses pièces, au cours d’une rétrospective exclusivement dédiée à sa peinture. Rencontre.

Comment est née votre vocation ? Je suis né à Sète dans les années 1960. A cette époque il n’y avait rien là-bas : pas de musée, ni de TGV… Venant d’une famille très modeste, nous n’avions pas les moyens de partir en vacances. Je n’avais donc que le dessin pour m’évader.

Quel fut le déclic ? Quand j’avais 16 ans, ce qu’on voyait dans les musées ne m’emballait pas, je me sentais assez loin de l’art conceptuel, par exemple. Au départ, j’étais plutôt attiré par l’édition. Dans les années 1970 est en effet apparue une bande dessinée “adulte” avec Métal Hurlant ou Bazooka. Des ponts étaient donc jetés entre l’art contemporain et l’illustration. Après avoir passé mon bac à Sète, je suis entré aux Arts décoratifs de Paris, pour ne plus jamais revenir. Mais je me suis vite aperçu que l’édition n’était pas pour moi. Mon ami Wolinski, à l’époque directeur de Charlie Mensuel, magazine dédié à une BD expérimentale, m’avait publié deux fois mais m’avait dit : “c’est mal dessiné, il n’y a pas d’histoire, tu n’as aucun avenir ici” (rires). Les musées et galeries m’ont finalement mieux convenu.

La culture de “l’image” vous a beaucoup marqué… Oui, je suis un enfant de la BD, de l’illustration de pochettes de vinyles ou des affiches de films, du fanzine aussi, très spécifique à la France.

Quels sont vos rapports à la bande dessinée, justement ? J’ai coutume de me présenter comme un artiste contemporain étant un grand amateur de BD. J’en possède une grande collection, c’est un moyen d’expression qui m’a marqué, comme Jérôme Bosch ou Henri Matisse. C’est une passion mais pas une pratique, hélas, car je ne suis pas capable d’en produire. C’est un vrai artisanat, comme les souffleurs de verre ou les ébénistes.

Hervé DI ROSA, René sous l'eau, 2011 © Pierre Schwartz

Hervé DI ROSA, René sous l’eau, 2011 © Pierre Schwartz

Le punk a aussi beaucoup compté pour vous, n’est-ce pas ? Oui, j’avais 17 ans quand ce courant a explosé, et il m’a beaucoup aidé. Les Clash, les Sex Pistol… c’était un exemple pour moi. Ces jeunes musiciens n’avaient pas de technique ni de matériel, mais des choses à dire. Et ils les disaient. C’était pareil pour moi, je n’avais pas de talent particulier ni d’argent pour payer mes toiles, alors je peignais sur des morceaux de papier, de tissu, de carton…

Qu’est-ce qui caractérise votre œuvre ? Je suis mal placé pour la commenter, j’ai d’ailleurs fondé à Sète le Miam (Musée international des Arts modestes, ndlr) pour parler d’autre chose que de moi (rires). Au Touquet, on ne voit pas mes collections, mes sculptures, mais uniquement ma peinture, qui est la racine de mon travail, la sève. J’ai eu des périodes et techniques différentes, mais tout au long de ces 40 ans, il y a toujours eu la peinture, c’est une réaction vitale que je sécrète naturellement. Au final, j’essaie de transmettre une énergie positive à travers une image, un morceau de toile, de papier… A la limite, le sujet et la composition ne m’intéressent pas. Seule compte cette bataille entre la vie et la mort.

Il y a une chose tout de même qui marque votre travail, ce sont ces personnages peuplant vos toiles comme Question Marc, Dr Tube ou les fameux Renés. Comment sont-ils nés ? Je n’avais pas beaucoup de facilités en dessin ou en peinture quand j’ai débuté. J’avais 18 ans, n’étais pas un grand technicien et me suis donc inventé une mythologie personnelle. Ces personnages représentent des types psychologiques ou formels. Certains sont jaunes, d’autres rouges, verts… Ils servent une espèce d’alchimie – même si j’ai aussi réalisé beaucoup de monochromes, comme on le voit dans cette exposition. Je pouvais aussi les utiliser de façon narrative, pour raconter une histoire.

Pourquoi tous ces personnages réapparaissent-ils sans cesse au fil de vos tableaux, ou autres ? Parce que je ne crois pas aux périodes, je les fait donc cohabiter perpétuellement, j’ai réalisé une sorte de challenge conceptuel. Finalement, je conçois des images et des objets plus que de la peinture. Pour moi, elle s’est arrêtée au XIXe siècle et je n’ose pas me comparer à Titien, par exemple, je n’ai pas l’impression d’exercer le même métier. Ce n’est pas de la fausse modestie, certains le comprennent mal. A travers la création des Arts modestes, je n’établis pas de hiérarchie entre la peinture et l’image. Tout est intéressant, mais chaque chose a sa place. Je suis très rigoureux sur les classements, on peut voir de très bonnes illustrations et de très mauvaises peintures.

Qu’est-ce que l’Art modeste ? Ce n’est pas un courant, comme l’Art brut ou l’Arte Povera, mais un regard. Je veux inciter les gens à appréhender les images, les productions de l’homme, l’artisanat avec un autre œil. On peut apprécier de la même façon une planche de BD comme la Chapelle Sixtine. Il s’agit d’être ouvert. Le Miam m’oblige ainsi à rester vigilant sur les artistes du monde, à garder cette curiosité et cette envie. Je m’intéresse donc beaucoup aux marges, aux périphéries, trouvant l’art là où l’on s’y attend le moins.

S’agit-il de croiser arts contemporains et populaires ? Exactement, le Miam fait l’interface entre un public de néophytes et la création actuelle, parfois difficile. Ma peinture peut être vue par des gens qui n’ont jamais mis les pieds dans un musée et un spécialiste. Je pense qu’il faut mettre l’art à hauteur d’hommes. Ce milieu a une responsabilité envers les gens se sentant exclus. Moi-même, jeune, je n’étais jamais entré dans un musée. Je veux donc toucher un public large, mais ce n’est pas le nombre de “like” qui compte (rires) !

L’autre spécificité de votre travail, c’est le voyage. Comment est né ce besoin ? D’abord d’une frustration, car je n’avais pas pu voyager durant mon enfance. A Sète, du port, je voyais les bateaux partir, toujours sans moi. Ensuite, j’ai beaucoup profité de mon nouveau métier pour partir vers les Etats-Unis ou en Europe, mais seulement pour exposer. A la fin des années 1980, j’ai eu ce sentiment que l’artiste avait un autre rôle que celui de peindre, je me suis alors vu comme un chercheur et me suis lancé dans cette quête de l’image et de l’objet à travers les continents, en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. Je déteste voyager en touriste et ne voulais pas refaire le coup de l’artiste-baroudeur, une idée très colonialiste. Le pittoresque et le folklore ne m’intéressent pas. Mon but, c’est d’aller à la rencontre de l’autre, travailler avec les gens chez eux afin que toutes ces techniques artisanales brouillent ma propre peinture.

Hervé DI ROSA, La bibliothèque de Victor Plat, 2017 © Pierre Schwartz - Courtesy FIMAC

Hervé DI ROSA, La bibliothèque de Victor Plat, 2017 © Pierre Schwartz – Courtesy FIMAC

Par exemple ? J’ai passé quatre ans au Vietnam dans un village où l’on fabrique la laque et la nacre. Je présente aussi à La Piscine de Roubaix les céramiques que j’ai conçues à Lisbonne, dans une fabrique d’azuléjos. Il m’a fallu cinq ans pour étudier cette technique.

Finalement, peut-on considérer votre art comme “politique”, à l’heure de la résurgence des nationalismes ? Oui, et on ne l’aurait pas cru d’ailleurs… Il y a trente ans, je pensais que la question européenne était réglée. J’ai aussi connu les débuts du métissage, de la France “black-blanc-beur”, la révolution sexuelle… Tout cela semblait acquis mais est aujourd’hui remis en cause, me semble-t-il pour le pire. Cela me pousse donc à mener plus loin encore cet atelier nomade, afin de prouver qu’on a toujours besoin des autres. Un artiste comme moi ne peut exister seul. Tous ces artisans du monde interviennent directement sur mes créations, comme si d’autres cultures venaient vivre chez moi.

Que peut-on découvrir au Touquet ? Une soixantaine de pièces datant de 1978 à aujourd’hui. On découvre mes premières œuvres de petits formats sur carton, plus expressionnistes, après le mouvement punk, puis mes personnages, la rencontre avec l’ailleurs… C’est un voyage dans le temps plus que géographique. Il y a enfin beaucoup de toiles très peu vues, 90 % au moins.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment? Je suis encore à Lisbonne, j’ai envie de produire des volumes en céramique, j’ai été à Prague aussi, car je m’intéresse au cristal de Bohème, matière à laquelle j’ai toujours souhaité me frotter.

Comment jugez-vous l’évolution de votre art ? Je préfère les dernières pièces. Mon rêve serait de produire une peinture rassemblant toutes mes expériences, mais j’ai encore du pain sur la planche. Dites-vous bien que cette exposition au Touquet n’est pas une rétrospective, mais une introduction !

Propos recueillis par Julien Damien (Photo du portrait d'Hervé Di Rosa : © Victoire Di Rosa)
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