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Crash-test

(c) David De Beyter

Jeune photographe né en 1985 à Roubaix, David De Beyter s’intéresse depuis 2014 aux Big Bangers, des passionnés de stock-car se réunissant autour de la destruction de voitures. Passé par La Cambre à Bruxelles et l’école du Fresnoy, à Tourcoing, cet artiste publie aux éditions RVB Books Damaged Inc. , premier des trois livres restituant cette pratique familière du Nord de la France, de la Belgique ou de la Hollande.

Comment présenteriez-vous votre travail ? De manière assez simple, je m’intéresse à la question de la ruine, à “l’après”. Précédemment, je m’étais penché sur le thème de la conquête spatiale et la façon dont cet imaginaire s’est intégré à une architecture utopique, expérimentale, par exemple dans ces formes ovoïdes typiques des années 1960-70. Concernant les Big Bangers, ce n’est pas tant le rapport à la destruction qui m’intéressait, mais le processus accéléré de mise en ruine de la voiture.

Comment avez-vous rencontré les Big Bangers ? Par hasard. J’effectuais des recherches dans le sud des Flandres, à Ypres, où les paysages me fascinent. Je souhaitais rejouer des scènes chaotiques de la peinture flamande où l’on voit des villages brûler, je pense notamment aux toiles de Joachim Patinir. A un moment donné, je suis tombé sur ces bagnoles crashées, ces types s’amusant à détruire des voitures dans les champs.

(c) David De Beyter

(c) David De Beyter

Qu’est-ce qui vous passionne ici ? Au-delà du paysage et de l’aspect communautaire, ce fut d’abord la dimension sculpturale de ces véhicules broyés. Il y a là une référence au land art. Puis il y a eu une rencontre humaine. Petit à petit, en allant dans leurs garages, je me suis rendu compte que pas mal de choses étaient conservées, tel ce morceau de carrosserie où il est inscrit “rest in peace”. Finalement, la voiture devient un objet de mémoire. Il y a un rituel social important autour de la machine.

Qui sont les Big Bangers ? C’est d’abord une pratique et, au sein de celle-ci, on dénombre différentes communautés se regroupant par “teams”. Ce sont un peu les mêmes cercles qu’on retrouve dans la scène hardcore ou metal. Il y en a en Hollande, en Belgique et en Angleterre notamment.

Comment est née cette pratique ? Elle est apparue sur les circuits, les parkings. Puis, à côté de ça existent des gestes périphériques se déroulant par exemple dans des champs, comme le montre la série Auto Sculpture : les voitures siamoises, explosées en forêt ou plantées dans le sol. Cela vient d’Angleterre. Les Big Bangers se livraient à des courses et, à la fin, s’adonnaient à la destruction de leurs montures. Au fil du temps, ils se sont rendus compte que la destruction intéressait plus les spectateurs. Certains sont donc là pour courir et d’autres pour “casser”, et c’est avec eux que j’ai le plus travaillé. Je me suis surtout concentré sur la Belgique et la Hollande car il y a une vraie dimension amatrice ici.

(c) David De Beyter

(c) David De Beyter

 

Votre travail comporte-t-il une approche documentaire ? Oui, il y a la fois une volonté conceptuelle et documentaire, de créer des formes à partir du réel. Par exemple, prenons Auto Sculpture I, cette image de voiture brûlant dans un champ à la verticale. J’ai ici déplacé, mis en scène un geste qu’ils exécutent régulièrement. Cela se nomme le “stunt” et l’idée est de planter la voiture avec ce bout de bois, puis ils foncent dessus avec une autre auto. Ils réalisent cette performance depuis une quinzaine d’années dans les ducasses, l’été, devant une centaine de spectateurs. En l’occurrence, celle-ci s’est déroulée à Comines, en Belgique. Je leur ai juste demandé de repositionner la voiture dans un autre champ car l’arrière-plan paysager m’intéressait.

(c) David De Beyter

(c) David De Beyter

On ne peut s’empêcher de voir dans ces destructions un geste politique… Il est clair qu’il y a un “je-m’en-foutisme” un peu punk chez eux, mais pas de revendication politique ni d’intention esthétique. Evidemment, la portée symbolique est très forte, tout cela joue avec l’imaginaire et nous questionne sur notre époque. Le consumérisme, la destruction… je comprends que ces sujets soient soulevés. Mais pour eux, c’est avant tout la recherche du geste qui compte. “Not for a trophy but a good crash”, pour reprendre un message écrit sur un capot froissé.

 

A lire / Damaged Inc., de David De Beyter (RVB Books), 64 p., 25 €, rvb-books.com

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