Home Exposition Catel

Féminin pluriel

Quels points communs entre Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker ou Benoîte Groult ? Elles ont marqué l’Histoire… et ont toutes été croquées par Catel Muller, dite “Catel”. Citons aussi son dernier né, Le Monde de Lucrèce, BD jeunesse cosignée avec Anne Goscinny (la fille de…). Fictives ou bien réelles, gamines impertinentes, grandes romantiques ou militantes, ces “héroïnes au bout du crayon” nourrissent une belle rétrospective, au CBBD. On découvre à Bruxelles quelque 300 pièces originales : croquis d’étudiante, dessins de presse,  aquarelles et planches de ses célèbres “biographiques”, bien sûr ! Rencontre.

A bien y regarder, son parcours ressemble un peu à celui de ses héroïnes : semé d’embûches, éclairé par les rencontres et à contre-courant du destin. Catel Muller a grandi dans un petit village d’Alsace, au sein d’une famille de scientifiques. « J’ai toujours aimé la BD, mais c’était un peu défendu, pas même un métier, explique-t-elle. A cette époque, il n’y avait d’ailleurs aucun modèle féminin, à part Claire Bretécher… ». Ado, notre auteure en herbe s’ennuie donc ferme au fond de sa classe de seconde S. Alors, plutôt que de s’intéresser aux équations, elle caricature son prof de maths en cochon. Le croquis lui vaut une convocation des parents. « J’étais morte de trouille… Mais contre toute attente, il leur a dit que j’étais super douée et qu’il me fallait suivre une voie artistique… il m’a sauvé la vie ! ».

Catel©Jean-Baptiste MillotS’ensuivront des études aux Arts décoratifs de Strasbourg. Son meilleur ami est un certain Blutch. Après cinq ans, ils se retrouvent à Paris. « Il m’avait embarquée dans Fluide glacial mais ça m’avait un peu effrayée de me retrouver dans cette équipe de mecs, je me suis donc réfugiée dans la littérature jeunesse, où il y avait plus de filles ». L’Alsacienne fourbit ainsi ses armes durant 10 ans dans différentes maisons “jeune public”. « J’ai très vite pu vivre de mes petits dessins, sans penser à la BD, ça me paraissait impossible ». Et pourtant…

Aquarelle de Kiki de Montparnasse sur scène © CatelCoup de foudre

A la fin des années 1990, une rencontre avec la coloriste Véronique Grisseaux la renvoie à ses premières passions. Elles créent le personnage de Lucie, une jeune célibataire un peu paumée, sorte de Bridget Jones à la française – et avant l’heure. « On racontait nos histoires de trentenaires cherchant l’amour ». Casterman leur commande trois albums. Ce succès lui donne des idées. « Je souhaitais agrandir le monde autour de mon héroïne, mais j’avais besoin d’aide au niveau scénaristique… ». En 2003, elle croise l’écrivain José-Louis Bocquet, lors du festival d’Angoulême. C’est un coup de foudre artistique (et amoureux). Ensemble, ils publient Kiki de Montparnasse en 2007. Cette première « biographique » retrace le parcours de la “star” des Années folles, et muse de Man Ray. « Cette sorte de Madonna laisse une trace indélébile, demeurant un symbole de liberté, d’émancipation féminine ». Catel la croque avec son trait si singulier : délié et enlevé. « Je me situe entre le classicisme et la modernité, la ligne claire de l’école belge et la culture du roman graphique qu’incarnent Sfar ou Blain », dit-elle.

(c) CatelSuivront Olympe de Gouges, rédactrice de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791 (guillotinée deux ans plus tard), puis Joséphine Baker… « Elle est très connue, certes, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Cette Vénus noire habillée de bananes était une résistante durant le Seconde Guerre mondiale, une femme engagée contre la ségrégation raciale, et puis elle a adopté 12 enfants de couleurs de peau différentes. Dans sa “tribu arc-en -ciel”, chacun pouvait vivre en conservant sa religion. Cette icône glamour a montré qu’il était possible de vivre fraternellement en ayant des cultures ou valeurs différentes ». On citera, aussi, Ainsi soit Benoîte Groult, portrait d’une figure du féminisme français et influence majeure de Catel.

Alice Guy © CatelLes clandestines

Celle qui a toujours signé ses œuvres de son prénom («la seule chose qu’une femme garde, contrairement à son nom ») se revendique féministe, au sens le plus littéral du terme, militant pour « l’égalité des droits entre les hommes et les femmes ». Le choix de ces personnages n’est en rien hasardeux. « Nous nous intéressons aux clandestines de l’Histoire, celles qui l’ont marquée mais qu’on n’a pas retenues ».

Dans le même esprit, Catel et Bocquet planchent aujourd’hui sur Nico, égérie du Velvet Underground, mais aussi Alice Guy, dont on découvre au CBBD quelques planches. « C’est la toute première cinéaste. Elle reste largement méconnue mais a pourtant signé, dès la fin du xixe siècle, plus de 500 films ». Pas rancunière, cette auteure prolifique s’attelle aussi, cette fois seule et pour la première fois, au portrait d’un homme. Pas n’importe lequel, car il s’agit de… René Goscinny ! Joli symbole, n’est-ce pas ?

A LIRE AUSSI : L’INTERVIEW DE CATEL

Julien Damien
Informations
Bruxelles, CBBD

Site internet : http://www.cbbd.be

Tous les jours (sauf lundi) de 10 à 18 heures.

19.06.2018>25.11.2018tous les jours : 10 h > 18 h, 10 > 3,50 €
Articles similaires