Home Exposition Christian Lacroix

Sur-mesure

Empire-des-roses-©-Musee-du-Louvre-Lens---Sebastien-Jarry

Il est couturier, costumier, designer, illustrateur et… scénographe. Depuis trois décennies, Christian Lacroix est l’un des plus grands créateurs français, puisant dans le passé pour habiller le présent. Depuis 2008, il conçoit des costumes et des décors pour le théâtre. Il collabore aussi avec les plus grands musées, du Quai Branly au Louvre-Lens, où nous l’avons rencontré. L’Arlésien met en espace et en couleur L’Empire des roses, restituant les fastes d’un palais oriental – déjà une œuvre en soi.

Comment avez-vous travaillé sur cette exposition ? Le propos était déjà mûr. Mon rôle fut simplement de lui offrir un écrin. J’ai d’abord cherché à restituer cette ambiance persane en observant des tableaux, avec des colonnades, des pilastres. Mais cela dépassait tous les budgets ! Suivant cette phrase de Cocteau : « Trop, c’est juste assez », j’ai tendance à en rajouter… Mais ici, il valait mieux choisir l’épure car les œuvres sont luxuriantes, elles se suffisent à elles-mêmes.

Quel fut donc votre parti pris ? Je suis tombé par hasard sur ce petit plan d’un château de plaisance de Souleymanieh, construit en 1840 pour Fath Ali Shah. Ce dessin de l’architecte français Pascal Coste, au graphisme abstrait, rappelant Paul Klee, me plaisait beaucoup. Je me suis appuyé sur ce document pour créer un parcours semblable à une ville imaginaire ou un palais.

Comment avez-vous organisé les salles ? J’ai simplifié la circulation : chaque espace présente un thème spécifique, signalé par une couleur renvoyant aux œuvres accrochées comme le rouge, l’ocre… Les murs sont également ornés de soieries, comme dans les palais persans de l’époque, et les salles sont reliées par des rues recouvertes de moquette aux imprimés typiques de l’Iran médiéval.

Empire-des-roses-©-Laurent-Lamacz

Empire-des-roses-©-Laurent-Lamacz

Qu’en est-il de l’entrée de l’exposition ? On pénètre par une grande porte formée de trois arcades. Je l’ai composée à partir d’une toile de Jules Laurens, représentant les ruines du palais d’Ashraf. J’ai choisi un “bleu paon”, emblématique de cette civilisation. Il s’agissait de marquer ce passage vers un autre monde, car cette exposition est un voyage spatio-temporel.

Quand avez-vous découvert les Qajars ? Mon intérêt pour cette dynastie est inconscient, il remonte à l’enfance, à un livre qui m’a beaucoup impressionné : Les Mille et une nuits. L’illustrateur s’était nourri des peintures persanes, cela me faisait peur et en même temps j’étais fasciné par cet art de l’ornementation… Assez timide et solitaire, j’ai grandi très heureux à Arles. Mais je ressentais ce besoin d’évasion vers l’inconnu, débordant la vie quotidienne. Il fallait à tout prix échapper à l’ennui. Ce livre a comblé ce vide.

Empire-des-roses-©-Laurent-Lamacz

Empire-des-roses-©-Laurent-Lamacz

En quoi l’art qajar vous intéresse-t-il ? Cette culture affiche clairement son pouvoir. Mais derrière cette attitude martiale, impérialiste, on distingue quelque chose de raffiné, presque féminin. à tous points de vue, on se situe entre deux mondes. Je suis aussi fasciné par cette ornementation phénoménale : la surenchère de bijoux, d’étoffes, de broderies… Cette opulence est aussi propre à celle du Second Empire, qui m’a tellement inspiré.

Plus généralement, puisez-vous dans le passé pour habiller le présent ? Dans le passé mais aussi l’ailleurs, l’exotisme. Aujourd’hui encore, je procède par collages. Je me souviens d’un jeu d’enfant, constitué d’une cinquantaine de visages, de troncs, de jambes. J’en possédais une version reposant sur des tableaux célèbres : il y avait des visages de Modigliani, des corsages de Van Gogh et des jambes de Rembrandt. Ce fut une révélation…

Que voudriez-vous que le visiteur retienne de cette exposition ? Elle est joliment didactique. Par les temps qui courent, ce n’est pas mal de regarder le monde musulman autrement, car les pièces présentées ici, iconoclastes, sont des choses que certains voudraient détruire. Cet événement marque aussi un retour à des relations normalisées entre la France et l’Iran, qui a prêté des pièces jamais sorties du pays.

Comment cette collaboration avec le Louvre-Lens est-elle née ? Marie Lavandier (ndlr : la directrice) m’a contacté pour cet accrochage. J’étais très impressionné. D’une part je connaissais mal la dynastie des Qajars, et puis je n’avais jamais visité le Louvre-Lens. Ce fut un coup de foudre : que la culture rayonne sur ce territoire, avec ce respect pour le paysage, le passé… à chaque fois que je vois cet aluminium reflétant le ciel, je suis bouleversé. Enfin, c’est un retour aux sources pour moi, on est toujours rattrapé par son destin….

Joueur de setar, Iran, vers 1830-1840, Huile sur toile Paris, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations orientales © INALCO / Philippe Fuzeau

Joueur de setar, Iran, vers 1830-1840, Huile sur toile
Paris, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations
orientales © INALCO / Philippe Fuzeau

Pourquoi ? J’ai été élève à l’Ecole du Louvre, entre 1973 et 1977, me destinant d’abord à une carrière de conservateur de musée. A ce moment-là je me posais des questions, j’étais un peu là pour faire plaisir à mes parents. En réalité, j’avais envie de dessiner, créer. J’étais intéressé par la scénographie de théâtre, les costumes. Et puis, les musées à l’époque ne ressemblaient pas au Louvre d’aujourd’hui. Il n’y avait que la poussière, pas forcément un rêve quand on a 18 ans…

Justement, comment êtes-vous devenu couturier ? Adolescent, j’étais passionné par l’histoire du costume. J’ai donc essayé d’entrer dans une école spécifique, alors située rue Blanche à Paris, mais sans succès. Par contre des amis à qui j’avais montré mes créations m’ont très tôt encouragé. C’était les années 1980, les choses étaient plus extravagantes, avec tous ces clubs et boîtes de nuit !

C’est-à-dire ? On s’habillait pour jouer un rôle, on était en “monstration” jusque dans les années 1990 où est apparu le minimalisme – je n’aurais d’ailleurs pas percé à ce moment-là. Bref, en 1978, j’ai présenté mon dossier chez Hermès qui m’a accueilli comme stagiaire avant de devenir directeur artistique deux ans après ! A l’époque, tout allait très vite, même sans notion de couture. J’ai rejoint la maison de Jean Patou, où rien n’avait changé depuis les années 1930… On concevait des vêtements pour des clientes prestigieuses, des pièces créées exclusivement pour elles et tout cela sans tambours ni trompettes. Aujourd’hui, la haute-couture déroule des tapis rouges, exhibe des célébrités, paye des gens pour porter les vêtements… à l’époque c’est nous qui faisions payer les clientes !

Regardez-vous cette période avec nostalgie ? La haute-couture ne ressemble plus à ce qu’elle était, donc je ne la regrette pas. Elle m’a permis de travailler pour le théâtre et des institutions comme l’Opéra Comique, l’Opéra Bastille, l’Opéra Garnier, La Comédie-Française, où je collabore la plupart du temps avec Denis Podalydès. En mai, je crée Le Triomphe d’amour avec lui, à la Maison de la Culture d’Amiens. Depuis Cyrano, on ne fait rien sans l’autre. Mes premières scénographies datent de 2008. Cela fait un an que je construis des décors, par exemple pour Songe d’une nuit d’été à l’Opéra Bastille. Et puis, on le sait peu, mais ces établissements sont de véritables maisons de couture, elles possèdent des ateliers plus conséquents encore :  on y crée des chaussures, de la lingerie, des costumes d’époque…  c’est un rêve d’enfant !

À LIRE ÉGALEMENT L’ARTICLE SUR L’EMPIRE DES ROSES

Propos recueillis par Julien Damien
Informations
Lens, Louvre-Lens

Site internet : http://www.louvrelens.fr/

Galerie du temps et Pavillon de verre :
Entrée libre et gratuite

Galerie d’expositions temporaires :
Tarif plein : 10€ / 18 – 25 ans : 5€ / – 18 ans : gratuit

Le musée est ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h (dernier accès et fermeture des caisses à 17h15).

Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.

L’EMPIRE DES ROSES Chefs-d’oeuvre de l’art persan du 19e siècle28.03.2018>23.07.2018
Articles similaires
© Thomas Jean

Animal (186), 2011 © Elliot Ross