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Sur le fil du rasoir

Steven Knight n’est pas un novice du petit ni du grand écran. On lui doit notamment le scénario des Promesses de l’ombre de David Cronenberg ou encore de Dirty Pretty Things de Stephen Frears. Il est aussi le co-inventeur de l’émission… Qui veut gagner des millions ? ! Mais c’est en puisant dans son histoire personnelle qu’il a trouvé l’inspiration pour écrire son plus gros “hit” : Peaky Blinders. Quatre ans après sa création, le succès de cette série mettant en scène les gangs sévissant au début du XXe siècle à Birmingham, d’où il est originaire, ne se dément pas. Comment a-t-il imaginé ses personnages ? Quel est le vrai du faux ? A la veille de la diffusion de la quatrième saison sur Arte, il nous livre quelques secrets de fabrication.

Les Peaky Blinders tiennent-ils une place importante dans l’histoire de Birmingham ? Eh bien maintenant, oui. La vérité est que tout cela a été oublié. Dans la plupart des pays, l’Histoire est écrite par des gens qui ne sont pas issus des quartiers populaires, donc la classe ouvrière est ignorée. J’ai écrit à leur sujet d’après les récits qui circulent dans ma famille. En observant une grande rigueur, je m’appuie sur des personnages ayant existé à l’époque. Comme Jessie Eden, une communiste qui mène une grève pour l’égalité des femmes (un nouveau personnage apparaissant dans la saison 4, ndlr). Lors de la présentation des nouveaux épisodes, nous avons rencontré un vieil homme avec une canne dans le public, c’était son fils.

Quelle est l’origine du nom “Peaky Blinders” ? Dans les années 1890, tous les voyous portaient une casquette (“peaky” en anglais, ndlr) et une lame de rasoir cachée à l’intérieur (pour aveugler leurs victimes, d’où le terme “blinders”, ndlr). Lorsque ces “kids” sont revenus de la Première Guerre mondiale, ils étaient tous très marqués. Ils étaient connus dans Small Heath comme les Peaky Blinders. Cela a perduré jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Quand ont-ils disparu ? Il y a eu des gangsters aussi longtemps que les paris de chevaux étaient illégaux, c’est-à-dire jusqu’en 1961.

Birmingham était-elle la ville comptant le plus de gangsters dans le Royaume-Uni ? Oui, il y en avait plus qu’ailleurs, mais je ne saurais dire pourquoi. Leurs affaires s’articulaient surtout autour des courses de chevaux, de paris illégaux… Mais si quelqu’un avait voulu une arme nucléaire, ils lui auraient trouvée !

Vous vous êtes donc inspiré de faits réels pour écrire… Dans la série, qu’est-ce qui est vrai ? Personne ne sait ce qui s’est vraiment passé. J’essaie de m’appuyer sur la réalité, par opposition à la fiction classique. Quand vous écrivez quelque chose qui a trait à l’Histoire, vous pouvez consulter des livres, mais les journaux sont plus précis. Mon travail a consisté à rendre les coupures d’époque et les histoires transmises par ma famille plus normales, rationnelles ! Car tout était trop scandaleux, insensé, impossible à croire.

Qu’en est-il des personnages ? Comment les avez-vous imaginés ? Thomas Shelby est inspiré de mon grand-oncle, Sam Sheldon, ennemi de Billy Kimber. J’ai eu envie de créer cette série suite à une histoire racontée par mon père. Il était forgeron, issu d’une famille de gitans anglais. A neuf ans, on l’a envoyé chez les Peaky Blinders pour leur transmettre un message. Il nous racontait toujours sa surprise en ouvrant la porte de la salle de paris, enfumée, avec ces types tirés à quatre-épingles qui buvaient du whisky à même la bouteille ou dans des pots de confiture, mais pas des verres (ils ne dépenseraient pas d’argent pour ça). La table était couverte de pièces de monnaie.

Grace (le personnage féminin central) a-t-elle réellement existé ? Elle n’incarne pas une personne en particulier mais on sait que l’Etat britannique envoyait des espionnes en tant que barmaids ou femmes de ménage pour glaner des informations sur l’IRA. Chester Campbell est quant à lui inspiré d’un flic irlandais qui s’appelait Rafferty.

Où la série a-t-elle été filmée ? Nous avons tourné à Birmingham, Liverpool, Manchester car nous voulions être proches de la réalité tout en forçant le trait.

La bande-son est très contemporaine, notamment signée par Nick Cave et PJ Harvey. Pourquoi ce choix ? Je voulais supprimer les barrières entre le public et les personnages. Si vous écoutez une musique qui reflète vos émotions, vous comprenez comment il y a 100 ou 1000 ans, les gens ressentaient la jalousie, la douleur, comme nous aujourd’hui. Si on avait utilisé de la musique d’époque, ça aurait été comme marcher dans un musée.

Quelles sont vos relations avec la BBC 2 ? J’ai travaillé avec des studios d’Hollywood. Vous écrivez des scripts et puis vient la réunion, où tout le monde vous donne des notes… A la BBC, ils vous disent juste : montrez-moi quand c’est fini. C’est la meilleure façon de travailler.

Justement, qu’en est-il de la suite ? En Angleterre, la saison 4 est sortie le 15 novembre. La famille est de retour à Small Heath et affronte un nouvel ennemi ! Il y en aura une nouvelle. Je vais commencer à l’écrire l’année prochaine. Il pourrait aussi y avoir une comédie musicale et un film. L’idée est d’arriver au début de la Seconde Guerre mondiale.

Comment expliquez-vous le succès de Peaky Blinders ? Je ne sais pas ! Elle est très suivie en Turquie, en Russie, en Amérique… partout. Je pense que c’est la série dont je suis le plus fier. Je ne voulais pas qu’elle fasse honte aux “working class” mais célèbre leur culture. Je voulais que ce soit à la fois glamour, dangereux, merveilleux. Tous les drames d’époque en Angleterre se focalisent sur les “middle-upper classes” mais les cris, la vie, l’alcool, le jeu, ça ne se passe pas dans les grands salons mais dans la rue !

Un dernier mot ? Oui, pourquoi personne n’écrit-il sur les Apaches en France ?!

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Jamie Devon, créateur et propriétaire du Peaky Blinders Bar & Grill à Paignton, Devon. Son arrière-grand-père faisait partie du gang

Propos recueillis par Elisabeth Blanchet
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