Home Style Le genièvre

Les derniers des Mohicans

C’est un digestif typique du nord de l’Europe, en particulier des Hauts-de-France et de Belgique. Pourtant, il ne reste plus que deux distilleries de genièvre dans l’Hexagone. D’un côté, celle de la famille Persyn à Houlle. De l’autre, Claeyssens à Wambrechies. Reportage au sein de ces deux monuments patrimoniaux.

Révolue la bistouille, ce tordboyaux bas de gamme mélangé à de la chirloute pour tonifier voire abrutir les masses laborieuses, mineurs en tête ! L’image du genièvre y a été longtemps associée, galvaudant cet alcool de céréales (seigle, avoine, orge ou blé) distillé, in fine, aux baies de genévrier. Ses origines datent de la fin du XVIe siècle, quand la factory Bols de Schiedam (Pays-Bas) faisait couler à flots “le courage des hollandais” (autre nom de cette boisson). Sa distillation en France n’a été autorisée qu’après la Révolution. Jusqu’à cette époque, les céréales ne devaient servir qu’à nourrir le bon peuple, voire les animaux, conséquence d’un monopole royal de 1713 valorisant les seules gnôles dérivées du vin. Voilà qui explique la naissance et la longévité des deux dernières distilleries de genièvre, Persyn et Claeyssens, en activité aujourd’hui dans les Hauts-de- France, région qui en dénombrait plus d’une centaine à la fin du XIXe siècle.

Un process inchangé

Distillerie Claeyssens

Distillerie Claeyssens

Même si la première reste plus artisanale et familiale que la seconde, elles ont de nombreux points communs. D’abord, elles sont nées il y a environ 200 ans. En 1812 pour la distillerie Persyn, à Houlle, petit village de l’Audomarois. En 1817, à Wambrechies sur les bords de la Deûle, pour la Distillerie Claeyssens. Certes de tailles différentes, leurs bâtiments ont gardé leur physionomie d’origine. De même pour les outils et techniques de fabrication (brassins, alambics, colonnes de distillation) fonctionnant toujours par campagne étalée d’octobre à avril. Ce sont de véritables pièces du patrimoine industriel, attirant chaque année entre 5 000 et 10 000 visiteurs. Ces deux maisons défendent aussi la qualité de leurs produits qui les distingue des breuvages à base d’éthanol parfumé constituant le coeur du marché belge ou néerlandais. Enfin, ces entreprises (de respectivement 5 et 9 salariés) relèvent les mêmes défis : surmonter un repli de leur production qui a été divisée par deux pour stagner, depuis une décennie, à 50 000 cols par an. « Cela est dû à la baisse régulière de la consommation de digestif et la domination d’autres alcools, tel le whisky, qui représente 40% des ventes des spiritueux en France », reconnaît Lionel Persyn, dirigeant associé avec son oncle Jean-Noël de l’affaire familiale.

Arômes sucrés

Après-guerre, Jean-Marie Persyn reprend l'activité de la distillerie de Houlle. La Carte Dorée (lancée en 1965) et surtout la Carte Noire (en 1970) assurent la renommée de son genièvre.

Après-guerre, Jean-Marie Persyn reprend l’activité de
la distillerie de Houlle. La Carte Dorée (lancée en 1965)
et surtout la Carte Noire (en 1970) assurent la renommée
de son genièvre.

Si on consomme moins de genièvre, tout l’enjeu est de savoir comment mieux le déguster. Claeyssens investit depuis plusieurs années pour se diversifier dans la fabrication de whiskies, gins, vodkas et cocktails dérivés, distillés à partir des mêmes céréales que le genièvre. Les Persyn misent eux sur l’élaboration d’assemblages premium. « Ils sont vieillis dans des fûts ayant contenu d’autres alcools, surtout des vins moelleux comme le Sauternes ou le Monbazillac. Le but est d’en exploiter la sucrosité résiduelle pour l’élevage de cuvées plus fruitées », précise Lionel Persyn. Une montée en gamme réussie avec le Houlle XIV, assemblage de deux eaux-de-vie de 15 ans d’âge vieillies en fûts de chêne, dont les arômes boisés et les reflets cuivrés rappellent un vieux whisky. Mais c’est bien du genièvre, et entend le rester…


 

À lire également notre article sur ‘t Dreupelkot, le bar à genièvre le plus célèbre du monde.

François Lecocq

Distillerie Persyn
Houlle, 19, route de Watten, +33 (0)3 21 93 01 71

Distillerie Claeyssens
Wambrechies, 1, rue de la Distillerie, + 33 (0)3 20 14 91 90

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