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Sur les sentiers de la gloire

C’est l’histoire d’une amitié extraordinaire entre deux rescapés de la guerre 1914-18. Soit un modeste comptable et un dessinateur de génie défiguré par un éclat d’obus. Incapables de retrouver leur place dans la société, ils vont monter une arnaque aux monuments aux morts… En s’attaquant à Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre (prix Goncourt 2013), Albert Dupontel relève un sacré défi. Loin de son registre habituel, le réalisateur de Bernie ou de 9 mois ferme livre peut-être ici son plus grand film. Servie par un casting cinq étoiles, son adaptation s’avère aussi drôle qu’émouvante et sacrément bien filmée. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter ce roman ? Au-delà d’un fabuleux plaisir de lecteur, une grosse accointance intellectuelle avec les personnages. J’y ai retrouvé les archétypes sociaux dont j’ai l’habitude de parler dans mes films. J’étais capable de comprendre leurs émotions mais incapable d’écrire une telle histoire alors je me suis dit : « volons-la ! ». Et le pire, c’est que Pierre Lemaitre était d’accord.

Quel fut votre parti-pris ? Tout d’abord, j’ai placé Edouard Péricourt (le dessinateur) au centre du film, plus que dans le livre. C’est l’icône artistique dont je souhaitais parler : hautement conscient, hyper doué, humaniste… bref, un artiste idéal. Il me semble que j’ai préservé la quintessence émotionnelle du roman. Ensuite, j’ai procédé à des modifications pour rendre l’histoire plus cinématographique. Par exemple, dans le livre, l’”arnaque” arrive dans le dernier tiers, or j’ai tenu à l’introduire très tôt. Sachez toutefois que toutes les modifications profondes ont été validées par Pierre Lemaitre.

Ce livre a rencontré un vif succès, public et critique. N’avez-vous pas eu peur de le “dénaturer” ? Adapter un best-seller est toujours dangereux. Mais l’envie, pour ne pas dire la gourmandise, était trop forte. L’écueil à éviter était, à mon avis, de rester trop fidèle au roman.

Comment avez-vous travaillé avec Pierre Lemaitre ? Nous nous sommes vus deux fois. On ne peut pas dire qu’il ait été intrusif. Mais à chaque modification importante, sachez que je m’empressais de lui montrer afin d’obtenir sa validation.

Photo Jérôme Prébois / Gaumont Distribution

Au revoir là-haut paraît plus ambitieux que vos précédentes réalisations. Qu’est-ce qui vous a poussé à “sortir” de votre terrain de jeu habituel ? Le fait que ce soit différent justement, et la sale impression de me répéter d’un film à l’autre. Pierre m’a permis de quitter ma cage mentale, tout en gardant l’essentiel, des personnages décalés et révoltés.

Le film critique le monde de l’argent, les puissants, qui envoient le petit peuple se faire tuer sans vergogne… Il comporte une dimension politique, n’est-ce pas ? Oui, cette guerre a été créée historiquement pour les raisons que vous citez. Dans le livre de Pierre, la vengeance des “petites gens” est jubilatoire. Après la scène d’ouverture qui relate une bataille, on comprend ce à quoi ils ont survécu. Et à mon sens, ils sont tout excusés.

Photo Jérôme Prébois / Gaumont Distribution

On ne peut d’ailleurs s’empêcher d’y déceler un “écho” à notre actualité… Absolument, j’ai toujours vu ce roman comme un pamphlet déguisé de l’époque actuelle, et bien sûr, j’y ai trouvé mon compte.

Malgré tout, il y a un bel équilibre entre le drame et la comédie. Etait-ce important pour vous ? La comédie est très présente dans le livre et, là aussi, au fil de l’adaptation, des scènes ont surgi de manière évidente. Le mélange entre la comédie et le tragique nécessite une incarnation d’une grande justesse. Heureusement, j’étais bien servi par la distribution. Ce mariage est un bon reflet de ce que je ressens dans la vie de tous les jours. Ces montagnes russes émotionnelles donnent une épice particulière à ce genre de films.

On remarque également un travail important sur la couleur et le grain de l’image… En fait, je souhaitais retrouver l’image du passé tel qu’on se l’imagine, à savoir patinée (le grain) et colorée (autochrome, c’est-à-dire avec les photos couleur de l’époque). Retrouver ces paramètres nous a demandé du temps mais le résultat se rapproche de ce que je souhaitais au départ.

Souhaitiez-vous d’emblée incarner Albert Maillard ? Pas du tout ! Un de mes acteurs favoris, pressenti depuis presque un an, devait endosser le rôle. Mais à quelques mois du tournage, en surmenage, il a annoncé qu’il ne participerait pas à l’aventure. Je me suis donc résolu, par nécessité plus que par désir, à interpréter ce personnage. Le surcroît de fatigue a été réel mais le fait de jouer et de réaliser crée souvent un effet “Pont d’Arcole”. Les acteurs s’impliquent davantage quand le metteur en scène est aussi l’un des leurs.

Photo Jérôme Prébois / Gaumont DistributionComment avez-vous choisi vos acteurs ? Ils font tous partie de nos « premiers choix ». Pour Pradelle, je cherchais un Vittorio Gassman jeune et Laurent Lafitte, excellent acteur, a jubilé tout au long de son interprétation. Nahuel Perez Biscayart est la vraie révélation de ce film, acteur doué, mature, inventif, j’ai beaucoup de chance de l’avoir croisé. Niels Arestrup est une évidence mais la sensibilité qu’il laisse entrevoir à la fin du film a dépassé mes espérances. Emilie Dequenne est grâce et douceur personnifiées, je la voulais absolument pour le rôle de Madeleine Péricourt. Mélanie Thierry a gentiment accepté ce « petit grand rôle ». Seule question : comment son personnage tombe amoureux d’Albert Maillard ? On va dire que c’est du cinéma !

Quels sont vos projets ? Un film triste que je vais tout faire pour rendre drôle.

Pierre Lemaitre a donné une suite à Au revoir là-haut (Couleur de l’incendie). Y pensez-vous aussi ? Je ne sais pas. Parce que je travaille sur un autre projet auquel je tiens beaucoup, sans compter ceux dont je rêve depuis longtemps, comme une biographie de Robert Capa ou une épopée napoléonienne.

Propos recueillis par Julien Damien

Au revoir là-haut

D’Albert Dupontel, avec Albert Dupontel, Nahuel Perez Biscayart, Laurent Lafitte, Niels Arestrup, Emilie Dequenne, Mélanie Thierry… En salle

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