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La mémoire dans la peau

Weronika Gesicka

Weronika Gesicka nourrit « une vieille fascination » pour les années 1950- 60 et leur ambiance empreinte de surréalisme. En déformant des photographies issues d’archives américaines, elle crée autant de scènes aussi farfelues qu’inquiétantes. En filigrane de cette série baptisée Traces, cette artiste polonaise s’intéresse avant tout à notre mémoire et aux traces, donc, réelles ou fantasmées, que le passé peut y laisser.

Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous devenue artiste ? L’art a toujours fait partie de ma vie, parmi d’autres centres d’intérêt. La révélation survint à la fin du lycée, où je suivais des cours en mathématiques et en physique. J’ai décidé, malgré mes plans antérieurs, que j’étudierai à l’académie des Beaux-Arts et que j’en ferai ma vie. Bien que je sois parfois assaillie par le doute, je reste persuadée que c’était le bon choix.

Où vivez-vous ? En Pologne, où je partage mon temps entre Varsovie et un petit village situé dans le centre du pays. Grâce à cela, je maintiens l’équilibre entre une vie urbaine intense et un endroit plus isolé, où les soirées sont calmes et sombres.

Comment décririez-vous votre travail ? Traces parle avant tout de la mémoire, à la fois individuelle et collective. Cette série s’intéresse à la façon dont nous percevons les choses du passé, et comment ces souvenirs évoluent avec le temps. Comment la photographie peut-elle manipuler le passé ? Que peut-elle nous dire de lui ? Traces interroge aussi la manière dont nous, en partageant nos images, faisons partie de cette histoire visuelle.

Traces

Traces

Comment travaillez-vous ? En usant d’une variété de techniques que j’adapte à des travaux spécifiques. J’essaie de ne pas m’attacher à une méthode particulière. Je me concentre principalement sur l’idée en cours et tente de trouver le bon moyen de l’exprimer. La série Traces s’appuie par exemple sur Photoshop. Mais le projet qui m’occupe actuellement comprend mes photographies, mais aussi des dessins et objets.

On note que les images de Traces sont issues des années 1950 et 60… Oui, j’ai utilisé des clichés provenant surtout des archives américaines des années 1950 et 60. Tous ont été achetés dans une banque de photos. Les images de cette période véhiculent souvent une atmosphère très spécifique, quelque peu irréaliste. Mais en regardant ces milliers de photos, je ne savais pas exactement lesquelles étaient authentiques, tirées d’un véritable album de famille ou créées pour une séance commerciale. Ce doute a inspiré cette série.

Quelle serait votre création favorite ? Il est difficile de choisir. Toutefois le premier travail de Traces, qui a enclenché toute la série, en est devenu l’un des plus populaires. Cette image représente trois jeunes couples à la plage, où les filles sont assises sur les épaules de garçons. Une modification assez simple a donné à cette photo une nouvelle signification, et maintenant elle est lue de tant de façons que je suis tout à fait surprise !

Traces

Traces

 

L’humour semble aussi important dans votre travail, n’est-ce pas ? Que vous permet-il de dire ? Oui, j’aime l’humour, l’absurdité et je pense que l’art d’aujourd’hui n’en démontre pas assez. En exposant une idée d’une manière plus drôle, nous obtenons des associations nouvelles et pouvons observer un sujet sous une perspective différente.

Où trouvez-vous l’inspiration ? Dans de nombreux endroits, souvent où je ne m’y m’attends pas. Je lis beaucoup, regarde des images sur Internet et visite des expositions, mais j’essaie aussi de sortir de ma routine : chercher un livre ou un magazine différent de ce que je feuillette habituellement, choisir un autre route pour rentrer à la maison afin de découvrir un autre paysage. S’assoir pendant un moment sur un banc de parc ou à un arrêt de bus, en regardant les gens… Ce sont de petites choses qui engendrent des pensées et des idées surprenantes.

Qu’est-ce qui vous occupe en ce moment ? Je m’intéresse à un projet portant encore sur la mémoire, mais cette fois dans le contexte des objets qui nous entourent. Aujourd’hui, nous sommes encerclés de tas de gadgets. Nous construisons notre image en fonction de ce que nous avons, de ce que nous utilisons. Une telle collecte est également une sorte de tentative d’échapper à l’oubli, un désir de laisser autant de traces que possible. Une illusion d’immortalité.

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