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Laisse béton

Loïc Vendrame nous avait impressionnés en 2016 avec ses photographies sublimant les formes et couleurs de l’architecture moderne. Le revoici avec un projet plus documentaire. Dans la série Future Rust, Future Dust, le Lyonnais témoigne de la crise qui a frappé le monde en 2008, à travers des clichés de villes-fantômes, de routes ne menant nulle part, de bâtiments touristiques inachevés… Comme un instantané d’une économie en faillite, d’une catastrophe figée dans le temps pour l’éternité.        

Comment est née cette série ? De par ma formation de géographe, je suis depuis longtemps passionné par les villes, mais aussi par ces endroits que l’on peut qualifier “d’interstices urbains”, que personne ne regarde mais qui font pourtant partie de notre quotidien. Ces lieux modernes issus de la crise financière et immobilière, que je qualifie de “non-lieux” urbains, car abandonnés ou n’ayant pas de “dynamique”, me fascinent. De là est née l’idée d’un projet photo-documentaire prenant la forme d’une monographie.

Qu’est-ce qui a déclenché ce travail ? L’architecture contemporaine était devenue mon seul et unique sujet depuis 2013. J’ai pris beaucoup de plaisir à rechercher le graphisme et la couleur dans plusieurs villes du monde. Mais, depuis début 2016, j’avais la sensation d’avoir fait le tour de mon approche, de ne plus parvenir à me réinventer. J’aimais réussir à donner “vie” à l’architecture, mais j’avais besoin de raconter une histoire, d’engager un point de vue plus marqué.

Où ces photos ont-elles été prises ? Elles sont issues des deux premiers volumes de mon projet Future Rust, Future Dust. Une partie a été prise lors de mon voyage initial en Espagne, autour de Madrid, et l’autre dans la région de Murcie-Alicante.

 

Quelle fut la méthode ? Mon idée est d’arriver à photographier ces lieux abandonnés dans leur contexte environnant, afin de montrer l’absurdité de ces squelettes de béton qui dénotent dans le paysage, et leur côté “figé”, alors que la nature commence à reprendre le dessus. J’utilise ici le format carré car sa rigueur et la géométrie des cadrages me plaisent. J’use principalement du très grand angle afin de donner plus d’impact aux photos.

Comment avez-vous sélectionné ces sites ? Avant chaque exploration, je passe beaucoup de temps à les repérer sur Google Earth et aujourd’hui j’arrive instantanément à identifier les constructions abandonnées. Une fois sur le terrain, il m’arrive d’en trouver de nouveaux ou de ne pas photographier ceux que j’avais repérés, car je fonctionne énormément au feeling.

Pourquoi le temps est-il toujours resplendissant ? Ce paradoxe entre la beauté du climat et l’état d’abandon des lieux photographiés est-il volontaire ? En général, je préfère photographier sous un beau temps, et le filtre polarisant me permet d’accentuer le bleu intense du ciel, mais on ne choisit pas toujours ! On imaginerait plus volontiers ces endroits dans le brouillard, pour donner une atmosphère plus pesante, mais j’aime au contraire ce contraste entre le climat et la dureté de ces lieux. Sachant que beaucoup d’entre eux étaient dédiés au tourisme, c’est une façon les révéler dans leur environnement tels qu’ils auraient été perçus s’il n’y avait pas eu la crise.

Que vouliez-vous montrer à travers ce travail ? Ce projet a vraiment un sens profond pour moi. J’essaye de montrer l’absurdité, le gâchis d’argent public, les rêves d’accession à la propriété brisés. Derrière ce béton il y a des personnes qui se sont endettées et des escrocs toujours en liberté. J’étais également choqué de voir un nombre important de maisons habitables mais laissées à l’abandon, alors que tant de personnes n’arrivent pas à se loger. Au-delà de l’aspect politique et social, je décris aussi à quel point les paysages ont été défigurés pour rien, même ceux qui étaient protégés par des lois. Cela coûterait trop cher de tout enlever dit-on, alors on préfère laisser des verrues de béton qui se désagrègent lentement, mangées par la nature qui reprend ses droits.

Que ressentez-vous face à ces paysages apocalyptiques ? Ils sont perturbants. On se demande où on est, ce qu’il a bien pu se passer. Il y a juste le bruit du vent qui vous accompagne et pourtant vous êtes entourés par toutes ces traces laissées par l’Homme qui était là quelques heures avant, mais a tout quitté sur place (casque de chantier, grue, prospectus publicitaire immobilier…) comme si le pire s’était produit. Lors de mon deuxième voyage en Espagne j’ai posé ma tente au pied de ces squelettes de béton pour m’immerger plus encore dans ces décors semblant irréels. A chaque fois que je trouvais un nouveau “spot”, j’imaginais l’énergie pharaonique mise en œuvre pour acheminer tout le matériel de construction, élever les routes, les réseaux souterrains d’eau, les structures des bâtiments… et d’un coup tout abandonner.

Spanish Riviera - Cox

D’autres séries sur le sujet sont-elles prévues ? J’ai pour but de poursuivre ce projet ailleurs dans le monde, toujours avec le même regard, et de montrer les particularités que la crise a eu dans tous les pays frappés. Je pars prochainement pour le Portugal, puis compte aller dans le sud de l’Europe (Italie, Grèce) mais aussi au Maroc, en Chine et dans les pays du Golfe qui ont également été très touchés par la crise malgré leur manne financière importante. Mon objectif ultime est d’offrir une vision exhaustive des impacts de la crise sur les paysages urbains.

Quels sont vos projets ? Je travaille actuellement pour une ONG médicale en République Démocratique du Congo. Cela me permet de découvrir de nouveaux pays et d’autres sujets, même si pratiquer la photographie partout dans le monde n’est pas toujours évident et sans risque !

Propos recueillis par Julien Damien
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