Home Reportage L’école des sirènes

Passion d’eau douce

Hôtel Palm Beach, Corniche Kennedy, Marseille. Au bord de la piscine de cet établissement de luxe gît du matériel de plongée incongru : des monopalmes recouvertes de lycra à paillettes… en forme de queue de poisson. Eh oui, c’est ici, à deux pas des plages du Prado que Julia Sardella enseigne depuis deux ans le mermaiding, ou comment nager comme une sirène ! Découverte d’une discipline combinant sport, jeu, imaginaire… et qui n’a rien d’un poisson d’avril.

Les cinq jeunes femmes arrivent avec un peu de retard (le fameux quart d’heure marseillais). L’une d’elles, Lola, écarquille les yeux en réalisant la métamorphose qui l’attend : le cours de sirène est le cadeau surprise de ses copines pour enterrer sa vie de jeune fille ! Une fois les queues de poisson enfilées, le tohu-bohu des “ploufs” attire le regard amusé des clients du Palm Beach. Pendant que les néophytes s’essayent aux premières propulsions, Julia Sardella, 35 ans, explique en quoi consiste la discipline : « elle mêle l’aspect sportif, en nageant avec la monopalme, mais aussi l’évasion, car c’est une activité hyper ludique faisant rêver les femmes, les enfants et même les hommes ». Du rêve et du sport, voilà ce que cette ancienne athlète de haut niveau en natation synchronisée, aussi instructrice de pilates, propose à ses élèves. 70 % sont des filles. La séance est ouverte à partir de huit ans, à la seule condition de savoir bien nager. Ce qui n’est pas le cas de Mélanie… Tandis que ses camarades s’accommodent de leur nouvelle morphologie, elle reste assise sur le bord du bassin, la queue dans l’eau, semblant sortir du film de Walt Disney. Pour autant, ces créatures n’ont pas toujours ressemblé à Ariel. Un petit “splash back” s’impose…

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Du drame au glam

Les sirènes qui apparaissent dans la mythologie grecque sont d’abord mi-femmes, mi-oiseaux. Leurs chants aimantaient les marins vers le naufrage et la mort. Puis, dans le folklore médiéval scandinave, elles troquent les plumes pour des écailles mais se comportent toujours comme des aguicheuses néfastes… Au fil des siècles, elles acquièrent un statut glamour, devenant de jolies naïades vivant en eaux peu profondes, dans des estuaires, des lagunes… Enfin, le personnage du conte d’Andersen (La Petite Sirène, 1837) n’est plus un monstre tentateur, mais une héroïne en quête d’amour. Une représentation toujours d’actualité puisque sa statue à Copenhague attire pléthore de touristes romantiques… C’est d’ailleurs tout cet imaginaire qui séduit, reprend Julia. « Aux États-Unis, au Canada ou en Australie, où les écoles émergent depuis la création de la première à Manille, en 2013, il existe une vraie communautés de mermen (ndlr : tritons, en anglais) et de mermaids (sirènes). Ils se retrouvent pour nager ensemble mais aussi deviser sur la mythologie, les légendes. Un mouvement est en train de naître en France. Le tout premier festival vient de se dérouler dans une fosse de plongée des Hauts-de-Seine : les participants y exposaient leurs tenues, créations, accessoires ». Julia mentionne également l’existence d’un concours international de “Miss Mermaid”, gagné par la Bretonne Ingrid Fabulet, l’an passé en Égypte. Celle-ci défend d’ailleurs son titre de “meilleure sirène de France” à Vannes, en juillet.

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Communauté

Mais Julia ne recherche pas la compétition : « je développe un loisir sportif, tout en enseignant les valeurs du travail en équipe. Durant les spectacles, les sirènes évoluent parfois par groupe de 10. Les séances reposent sur des jeux, on est là pour s’amuser ». C’est ce que font nos apprenties : elles se faufilent au centre de cerceaux placés sous l’eau, progressent en duo. Au bout d’une heure, le résultat impressionne les clients du Palm Beach. Après des regards amusés, voire moqueurs, eux aussi veulent troquer leur maillot pour une queue. Justement, qu’en est-il de l’équipement ? « J’ai créé ma propre marque », explique Julia qui, après sa carrière sportive, a vécu quatre ans à Las Vegas où elle se produisait dans le show aquatique Le Rêve. Le textile pailleté aux dominantes vert, bleu turquoise, rose-violet, est plus épais que celui des maillots de bain. Un tantinet kitsch, aussi. La monopalme pèse à peine deux kilos. Désormais, Julia compte étendre son activité cet été du côté d’Aix-en-Provence et ouvrir des franchises de son école. En attendant, c’est la fin de la séance pour nos Marseillaises venues enterrer, ou plutôt noyer, la vie de jeune fille de leur amie Lola. Un peu intimidées au début, elles rechignent maintenant à ôter leurs écailles synthétiques. Mais bon, il faut bien revenir sur terre !T68B1200

Texte & Photo : Elisabeth Blanchet

École de sirènes de Marseille : 50 € / heure / personne, prêt du matériel inclus, sirene.perle-events.fr/les-cours-de-sirene

 

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