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Schtroumpf alors !

© Peyo

Certes, la renommée mondiale de Pierre Culliford, alias Peyo (1928-92), n’est plus à démontrer. Pour autant, son talent d’auteur de BD fut un peu éclipsé par le succès de ses lutins bleus. Schtroumpfée à la Fondation Folon, à La Hulpe, cette rétrospective rassemble 150 pièces conservées par sa famille. Ces toutes premières esquisses et ces planches originales de Johan et Pirlouit ou Benoît Brisefer retracent un parcours artistique horsnorme. Co-commissaires de cette exposition inédite, le journaliste Hugues Dayez et José Grandmont, collaborateur de longue date du dessinateur bruxellois, nous en schtroumpfent un peu plus.

Comment les Schtroumpfs sont-ils nés ?

Hugues Dayez : C’est l’un des tout premiers spin-off : des personnages secondaires qui ont obtenu leur propre série. Ils sont nés pour les besoins d’une histoire, en 1958, dans la 9e aventure de Johan et Pirlouit intitulée La Flûte à six trous. Peyo aimait détourner les clichés. Plutôt que de dessiner un vieux sorcier fabriquant une flûte enchantée, il a confié ce rôle à des lutins bleus dirigés par un chef de 542 ans, vivant dans des champignons. Ils n’apparaissent que l’espace de 12 pages, mais ça marche tout de suite.

Pourquoi ?

H.D : Non seulement ils sont attachants mais ce néologisme et ce langage plaisent aux lecteurs, les enfants s’amusent à parler comme eux. Peyo s’en rend compte et rebaptise l’album La Flûte à six schtroumpfs. Dans un second temps Yvan Delporte, le rédacteur en chef du Journal de Spirou, imagine un récit réservé à ces petits personnages, Le Schtroumpf noir, qu’on détache au centre du magazine. Ils vont rapidement éclipser Johan et Pirlouit.

© Peyo

© Peyo

D’où ce nom vient-il ?

José Grandmont : Peyo s’entendait bien avec Franquin avec lequel il partait souvent à la mer en famille. A l’occasion d’un repas, Peyo ne trouvant plus ses mots, demanda la salière à Franquin en s’écriant « passe-moi la schtroumpf » ! Ce fut l’hilarité générale, ils se sont amusés avec ça toute la soirée. C’est devenu une source de gags intarissable.

Quelle est la caractéristique de cette série ?

H.D : Au départ les Schtroumpfs se ressemblent tous mais très vite Peyo affirme des personnalités comme le Schtroumpf Coquet, Musicien, Costaud… C’est une comédie humaine où il est question de jalousie, de rivalité, d’orgueil… tous les sentiments s’y trouvent.

Qu’est-ce qui fait leur succès ?

H.D : Ces albums ont été écrits il y a 50 ans mais on a l’impression qu’ils datent d’hier. Peyo a évité toute référence à l’actualité. Du coup, on ne sait pas très bien où et quand cela se déroule. Cet humour est plus atemporel que celui d’un Goscinny par exemple. Astérix chez les Bretons c’est génial mais il y a des allusions aux Beatles, au “swinging London”… c’est le reflet d’une époque. Peyo n’est jamais contextuel, et donc éternel.

Pourquoi appréciez-vous tant Peyo ?

H.D : J’ai appris à lire avec Johan et Pirlouit. Cet univers de Moyen Âge fantasy a un charme indicible. L’équilibre entre émotion, humour et aventure est parfait. Sur le plan scénaristique ces histoires de 60 pages rivalisent avec L’Affaire Tournesol ou Tintin au Tibet. Peyo, c’est le Hergé de l’école Spirou, sa fluidité narrative est impressionnante.

Peut-on aussi déceler à travers les Schtroumpfs une vision de la société ?

H.D : On y a vu une allusion au communisme, ce qui est faux puisque chacun affiche sa différence et la propriété privée n’est pas interdite : le Schtroumpf Paysan cultive son propre lopin de terre et tout le monde possède son champignon. Pour autant, il y a deux albums plus politiques.

Lesquels ?

H.D : Le Schtroumpfissime raconte l’émergence d’une dictature. Lewis Trondheim le présente comme l’un des meilleurs albums politiques jamais réalisé. Alors que le Grand Schtroumpf est en voyage, le village organise des élections pour désigner un chef et là, il y a tout : les promesses électorales, les fraudes, le culte de la personnalité…

Mais encore ?

H.D : Schtroumpf vert et Vert Schtroumpf se lit lui comme une allégorie de la Belgique qui se délite : les Schtroumpfs du nord et du sud se disputent autour du langage, les uns parlant de “tire-bouschtroumpf” et les autres de “schtroumpf-bouchon”… Bref, ce sont les Flamands et les Wallons qui divorcent.

Premier dessin définitif d'un Schtroumpf (à noter : ici le petit lutin bleu a encore cinq doigts).

Premier dessin définitif d’un Schtroumpf
(à noter : ici le petit lutin bleu a encore cinq doigts).

 

Peyo avait-il une conscience politique ?

H.D : Non, cette approche est surtout due à l’apport de Delporte qui était beaucoup plus anarchiste et caustique. Peyo était un bon bourgeois bruxellois, assez centriste. Il conservait un coté assez enfantin et voulait avant tout raconter des histoires, il n’était pas du tout militant.

Pourquoi n’y a t-il qu’une Schtroumpfette ?

J.G : D’abord, il faut comprendre qu’à l’époque ces journaux étaient clairement destinés aux garçons, donc il n’était pas question de filles dans les séries. D’ailleurs, quand on y pense c’est un peu subversif car nous étions alors dans un journal très catholique, la chose est passée car les Schroumpfs ne sont pas des êtres humains. Et puis il s’agissait d’un gag en premier lieu : si on envoie une fille dans une communauté de mecs, ça va foutre le bazar ! Rappelons que la Schtroumpfette est la créature de Gargamel…

Comment définir le style de Peyo ?

H.D : C’est la synthèse entre Hergé et Walt Disney, ses deux influences majeures. Il a la fluidité narrative de Hergé et l’aspect rondouillard et en relief de son trait le rapproche de l’école Disney. Le dessin de Peyo est en 3D, tout en volume : on y voit des gros pieds, des gros nez, des gros bonnets et c’est grâce à cela que la déclinaison en petites figurines et en images de synthèse, au cinéma, fonctionne.

J.G : Son plaisir était avant tout de raconter des histoires et la planche, ce fut le moyen. Le dessin, c’était son cinéma à lui. Franquin disait toujours : “vous punaisez une planche de Peyo, vous vous mettez à trois mètres et même sans lire les bulles vous comprenez ce qu’il s’y passe”. Une autre caractéristique de son travail est cette tendance à élaborer une perspective au ras du sol. Le bord inférieur c’est le plancher, comme si chacune des cases était un théâtre.

Qu’en est-il de la couleur ?

J.G: Peyo n’y entendait rien. C’est sa femme qui lui donnait des indications. Le choix du bleu pour les Schtroumpfs, par exemple, a été défini par élimination. Le vert les rendait invisibles dans la forêt, le jaune leur donnait un aspect “maladif” et le rouge trop colérique. Bleu, c’était parfait.

Benoît Brisefer

Benoît Brisefer

Quelle est l’origine de son surnom, “Peyo” ?

J.G : Un de ses neveux avait du mal à prononcer “Pierrot”, il l’appelait donc Peyo. Tout de suite, dès ses premiers essais, ce surnom apparaît.

Comment était Peyo au quotidien, vous qui avez travaillé avec lui ?

J.G : Il était très exigeant. Il a dû s’entourer d’assistants suite au temps que lui prenait la série télé mais n’était pas très pédagogue, c’était un peu à nous de se débrouiller. Toutefois, il ne laissait rien passer, vérifiait chaque dessin en y posant un calque. Il fallait presque laisser une erreur car s’il n’en trouvait pas, il démontait tout ! Il a toujours voulu garder un contrôle sur tout ce qu’il faisait, même au niveau des adaptations télé.

Justement, qu’en est-il de cette adaptation ?

J.G : Dès que les Schtroumpfs apparaissent, il y a des tentatives d’adaptation. La Flute à six schtroumpfs a tapé dans l’œil de tout le monde. Belvision, à l’époque un grand studio européen, est le premier à s’en saisir. Peyo va alors s’initier au cinéma en autodidacte, apprendre tout seul le découpage plan par plan… ça lui prendra deux ans. Nous sommes en 1975 et, cinq ans après, les Américains de Hanna-Barbera vont s’y pencher à leur tour. Une des closes du contrat était la suivante : tant que les Schtroumpfs restent premiers à l’audimat, on continue la série. Et ça a duré neuf ans. Les scénaristes lui soumettaient des histoires mais Peyo empêchait que les Schtroumpfs ne “s’américanisent” trop, mâchent du chewing-gum par exemple… Bref, ça les a révélés au reste du monde et il y a eu 270 épisodes, mais ça l’a épuisé.

Une autre de ses séries à succès fut Benoît Brisefer. Comment le décrire ?

J.G: Peyo prend toujours les clichés à l’envers. Brisefer c’est un peu le Superman européen, sauf que ce n’est pas un gros balèze et sa kryptonite à lui, c’est le rhume. De plus personne n’est conscient de sa force, à chaque fois qu’il réalise un exploit personne ne l’a vu et ne le croit !

De qui Peyo s’est-il inspiré pour créer ce personnage ?

J.G : Je pense que c’est Peyo lui-même. Il était petit, avait un côté chétif et espiègle. Pirlouit est sans doute sa première représentation, il était aussi un peu les Schtroumpfs… C’était un rêveur, il est resté dans le monde de l’enfance, ce paradis perdu.

Johan et Pirlouit

Johan et Pirlouit

 

Quel est le but de cette rétrospective ?

J.G : Il n’y a pratiquement jamais eu d’expositions sur Peyo. On souhaitait mettre en avant le créateur, le conteur d’histoires autant que le dessinateur.

Pourquoi y a t-il eu si peu d’expositions sur Peyo ?

H.D : Parce qu’il a lui-même brouillé son image. Les Schtroumpfs deviennent populaires dans le monde entier grâce à leur adaptation à la télé dans les années 1980. Mais Peyo est oublié en tant qu’auteur de BD, ne dessinant plus lui-même. Toute une génération ne le connaît que par les dessins-animés, qui ne sont pas d’une qualité artistique exceptionnelle.

Comment a été conçu le parcours ?

H.D : De façon chronologique. C’est une exposition sur Peyo et non pas sur les Schtroumpfs. Un quart des pièces exposées leur est consacré et le reste montre l’étendue de son œuvre : Johan et Pirlouit, Benoît Brisefer

J.G : On découvre cette période où il se cherche, de 1945 à 1952. A l’époque, Peyo n’était pas un dessinateur hyperdoué. En 1952, il croise Franquin qui l’introduit au Journal de Spirou et lui donne des conseils. En l’espace d’un an ou deux, il va atteindre un niveau extraordinaire, au niveau de la narration comme du dessin.

D’où viennent les pièces exposées ?

H.D : Peyo n’a quasi rien vendu de son vivant et les pièces proviennent de coffres où ses planches sont précieusement conservées par sa famille. Ici, on disposait donc d’un très gros corpus d’originaux. C’est un petit miracle car il y a beaucoup d’auteurs de BD dont les œuvres ont été dispersées, perdues, vendues… Il fallait en profiter !

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Propos recueillis par Julien Damien
Informations
La Hulpe, Fondation Folon
25.03.2017>27.08.2017mar > ven : 9 h > 17 h, sam & dim : 10 h > 18 h, 10 > 6 € / gratuit (-6 ans)
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