Jan Lauwers
Le temps retrouvé
Un spectacle de Needcompany est toujours un événement. Une expérience visuelle, émotionnelle et engagée. Dans Le Poète aveugle, créé en 2015, sept acteurs explorent leur arbre généalogique pour remonter jusqu’aux Croisades, dévoilant un Islam rayonnant. à travers un grand moment de théâtre, Jan Lauwers interroge le passé pour mieux comprendre le présent.
Needcompany célèbre ses 30 ans. Depuis mars, elle est installée dans le quartier bruxellois de Molenbeek. Un endroit plus tout à fait comme les autres, pour une compagnie tout aussi singulière. A la tête de cette tribu : Jan Lauwers, 60 ans. Le Flamand est metteur en scène, cinéaste, plasticien… Il présente d’ailleurs une exposition, Silent Stories, à Bozar. Son nom a fait le tour de la planète en 2004, suite à la présentation de La Chambre d’Isabella. On découvrait alors un théâtre musical et dansé, baroque et polyglotte où s’articulent le réel et la fiction. Beaucoup de pièces ont suivi, telle La Maison des cerfs, inspirée par la mort du frère d’une de ses danseuses, journaliste tué au Kosovo. Oui, Jan Lauwers aime ses acteurs. « C’est pour eux que j’écris, dit-il. Pour moi, l’important n’est pas la technique, je peux monter une pièce sans décor, seulement avec des hommes et des femmes ». Le Poète aveugle ne déroge pas à la règle. « C’est l’un de nos meilleurs spectacles. Celui qui nous correspond le mieux ».
Monde perdu
Pour le créer, Jan Lauwers a demandé à ses comédiens de remonter leur arbre généalogique. Devant le public se succèdent ainsi sept interprètes. Chacun d’eux dresse son portrait en commençant par « Je suis… ». Ils s’expriment tous dans leur langue : norvégien, anglais, arabe… « C’est leur propre vie qu’ils racontent. Tout ce qu’ils disent est vrai, il y a des choses très intimes, drôles, parfois dures ». Très vite, ces romans personnels rejoignent la grande Histoire, nous emmenant au xie siècle, au temps des Croisades où l’un des membres de la compagnie a un ancêtre armurier… Nous voici sur les traces du Syrien Abû-l-Alâ’ Al-Ma’arrî, le fameux poète aveugle, plongeant dans une époque méconnue : celle d’un Islam des Lumières, à Cordoue. Il y a mille ans, c’était une ville de près d’un million d’âmes, comptant 600 000 livres, dix fois plus que Paris et ses 30 000 habitants, son Charlemagne analphabète… « Dans cette société l’athéisme était courant, les femmes demeuraient égales aux hommes, traduisaient Platon, à tel point que les chrétiens les jugeaient trop libres… Je me suis alors rendu compte en découvrant cela qu’on ne connaissait rien de l’Histoire ».
Celle-ci est écrite par les vainqueurs, dit-on, amputant le présent d’une part de vérité essentielle à sa compréhension. à l’heure de la montée des nationalismes en Europe, Needcompany pose une réflexion sur l’identité. Sur le plateau, les sept monologues sont entrecoupés de danses, de musique live. « C’est du théâtre porté par l’énergie d’un concert de rock ». Et une bonne dose d’humour. Une arme redoutable, autant qu’une injonction à l’optimisme, « même si ça n’est pas toujours facile ».
Silent Stories
Bruxelles – jusqu’au 25.06, Bozar, mar > dim : 10 h > 18 h, jeu : 10 h > 21 h, gratuit, www.bozar.be