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Edouard au grand jour

Douze ans après Akoibon, Edouard Baer est de retour derrière la caméra. Dans Ouvert la nuit il incarne Luigi, un directeur de théâtre embourbé dans un sacré pétrin. Il lui reste quelques heures pour sauver son affaire. Une nuit pour dénicher le singe que réclame son metteur en scène japonais et trouver le moyen de payer ses employés, tous en grève… Le voilà embarqué dans une improbable quête en plein Paris, accompagné d’une stagiaire bourrue (Sabrina Ouazani), avec pour seule arme une tchatche surnaturelle. Peut-on y voir un autoportrait ? En tout cas, Edouard Baer signe un 3e film fantasque et poétique, agrémenté d’une belle distribution (dont Audrey Tautou ou Michel Galabru, pour son dernier rôle). Rencontre avec un type sincèrement philanthrope.

Quelle est l’idée de ce film ? Je voulais rendre hommage à un personnage évoquant autant les comédies italiennes des années 1960 que les comptoirs de bistrots, à certaines heures de la nuit. Entre fiction et réalité, je montre des gens qui ont l’air d’inventer leur vie. Je souhaitais aussi décrire les coulisses d’un théâtre, pénétrer dans les cuisines, derrière la partie lumineuse.

Comment le présenteriez-vous ? C’est un road-movie à pied, toujours en mouvement, avec de nombreux plans-séquences. Comme dans les films d’action du type A la poursuite du diamant vert, le héros est animé par une quête.

Vous dessinez aussi un portrait de Paris, n’est-ce pas ? Absolument. Mais il n’est pas question d’un Paris chic ou nostalgique. Ce sont les adresses de Luigi, qui pourraient être les miennes. Je vous emmène dans des endroits qui comptent pour moi. On y croise des personnalités que j’apprécie, un chef de restaurant, un serveur qui me fait marrer, une nana avec qui j’aime discuter dans un bar… Tous ces personnages brossent eux-mêmes le portrait de la ville. On les a choisis un par un, accordant autant de soin au casting qu’aux décors.

Certes fantaisiste, le film est donc aussi réaliste… Oui, parce qu’il se situe au ras des rues, des visages. Quand on est à hauteur d’homme on s’en sort toujours. J’anime le matin une émission de radio* délivrant une forme d’actualité « intime ». On rapporte non seulement l’information internationale, mais aussi celle de votre voisine, de vos gamins, on se préoccupe de savoir si vous êtes amoureux, si vous avez mal aux pieds…

Qui est Luigi, votre personnage principal ? Un type qui perçoit la beauté chez les autres. C’est un révélateur, une sorte de Pygmalion. C’est aussi un équilibriste, un culbuto, un type perpétuellement sur le point de chuter mais qui retombe toujours sur ses pattes.

C’est aussi votre personnage fétiche au théâtre, comment l’avezvous adapté au cinéma ? Au théâtre, tout au moins celui que je pratique, le dialogue est roi. Ici, la vérité passe par la caméra, l’oeil. On a donc nettoyé tout ce qui relevait de la « punchline », de l’efficacité comique. Les comédies françaises souffrent de cet excès de bons mots qui rassurent les chaînes. Je préfère les comédies de situation, les regards, les malaises et les silences.

Vous donnez ici à Luigi plus de profondeur. On découvre sa vie familiale désastreuse, sa solitude… La tonalité joyeuse d’un film n’autorise pas un manque de crédibilité, les personnages doivent avoir de l’épaisseur. Sinon cela devient artificiel, comme dans une pub. La vie ne ressemble pas à une sitcom, où l’on serait cantonné à un rôle, celui de la nympho, du bourgeois, du con de service… On est tout cela à la fois. Vous par exemple, vous aimez votre femme mais pour autant je vous ai vu dans un bordel à la frontière belge (rires). L’Homme renferme une somme de contradictions, de misérables petits secrets et si l’on parvient à en effleurer quelques-uns au cinéma, c’est formidable !

Pourquoi avoir choisi Sabrina Ouazani pour incarner le personnage de la stagiaire, Faïza? Parce qu’elle est incroyablement féminine et peut, aussi, être un mec. Elle a un éventail de jeu fascinant. C’est à la fois une “kaïra” et une princesse.  Elle peut interpréter quelqu’un dont on voit au premier coup d’œil qu’il a souffert. Il y a donc là une vraie confrontation avec mon personnage décrétant que la vie doit être légère.

Photo Pascal Chantier

Luigi est-il votre avatar fictionnel ? Oui, en pire et en beaucoup mieux !

Qu’est-ce que vous partagez avec lui ? L’idée que les dés ne sont pas jetés, que rien n’est jamais joué d’avance. Qu’en sortant, en se baladant, on peut changer sa vie, celle des autres et le cours des choses…. bref, que l’aventure est au coin de la rue !

C’est aussi un grand enfant… Oui, peut-être, mais c’est un vrai patron. Il règle tout de même 27 salaires par mois… On n’est pas obligé d’être un homme en gris, un technocrate pour que les choses roulent. Rien n’empêche de travailler en restant fantaisiste, drôle ou en montant sur la table. On peut être grave, avoir de la profondeur sans être lugubre. Je déteste l’esprit de sérieux.

Vous montrez aussi un Paris multiculturel, et qui vit bien ensemble… Oui, je trouve qu’il faut aller vers le bruit et les odeurs comme disait Chirac, partager nos puanteurs et nos parfums. En tout cas si on ne sort pas de chez soi pour aller vers les autres, si on croit juste ce que nous disent notre ordinateur ou notre mur facebook, on est foutus. Luigi ne veut pas qu’on reste dans l’entre-soi. Il y a une scène symptomatique où il va à la rencontre de trois mecs dans la rue et dont l’imagerie populaire nous dit qu’ils sont des dealers, parce qu’ils sont rebeus, ont des blousons… Quand on ne sait pas qui est l’autre, qu’on a peur, il faut y aller ! Dans 95% des cas ça se passe bien. Dans les 5 % restants, il faut courir très vite mais ça vaut le coup (rires).

* Plus près de toi, sur Radio Nova, lun > ven, 7 h > 9 h

Propos recueillis par Julien Damien

Ouvert la nuit – D’Edouard Baer, avec Edouard Baer, Sabrina Ouazani, Audrey Tautou… Sortie le 11.01

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