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Les Arnaqueurs

Ce sont des artistes du mensonge, des rois de l’esbroufe. Dans Escroqueries légendaires et autres histoires de la délinquance astucieuse, le journaliste Eric Yung dresse le portrait de filous qui ont amassé des fortunes en vendant la Tour Eiffel ou des appartements au Paradis. L’ancien flic de l’anti-gang, au 36 Quai des Orfèvres, traque pour nous ces personnalités hors normes. Surveillez bien vos poches…

Comment ce livre est-il né ? J’aime raconter des histoires et pour cela j’ai besoin de beaux personnages. Les escrocs sont souvent des gens extraordinaires qui, même s’ils avaient été honnêtes, seraient connus car ils ont tous un vrai talent. On peut parler de génie pour certains, même si c’est délicat car ils servent le “Mal”.

Tel Romulus Brinkley… Oui, cet individu né à la fin du xixe siècle nourrissait une obsession : devenir médecin. Il menait une vie aventureuse, vendait des potions magiques embarqué sur un chariot à travers les états-Unis. Il a rencontré d’autres escrocs qui lui ont expliqué comment devenir docteur sans suivre d’études, et a finalement “réalisé” son rêve. C’est épouvantable car cette escroquerie, et c’est rare, a fait plusieurs morts.

Comment ? Il promettait de soigner les hommes manquant de virilité… en leur greffant des testicules de bouc ! Il a réalisé plus de 5 000 opérations chirurgicales en 16 ans, et n’a jamais été poursuivi, étant soutenu par des réseaux. Plus incroyable : il est considéré aux états-Unis comme un héros, car il fut l’un des premiers grands riches américains. Il possédait une radio nationale, a construit des dizaines de cliniques… Sa maison, située à la frontière mexicaine, est aujourd’hui un musée.

Nuts !, documentaire sur Dr John Romulus Brinkley, réalisé par Penny Lane (2016).

 

Quel serait le personnage le plus pittoresque ? Le Tchèque Victor Lustig, qui a vendu en 1925 la Tour Eiffel en pièces détachées. Il faut dire que l’époque était propice à ce genre d’arnaques : le monument ne faisait pas l’unanimité. Tout le monde voulait le voir disparaître… Quand Lustig est arrivé à Paris, il a discrètement lancé un appel d’offres et l’a revendue à un ferrailleur, qui n’a jamais porté plainte par peur du ridicule…

Quelle était sa personnalité ? C’est un personnage haut en couleur. Il a d’abord fait fortune en tant que joueur professionnel sur les bateaux de la Transatlantique. Il avait une vie de dandy et jouait aux tables de poker des gens les plus célèbres du monde. Son père était forain et tenait une boutique de loterie. Pour vous dire la perversité mentale extraordinaire de Lustig : il a écrit qu’il était heureux de regarder, enfant, les gens perdre à cette loterie, car son père trichait ! Et puis il était excessif. Amoureux, il pouvait séduire une dame en arrivant sur un dos d’éléphant en lui récitant des poèmes. Il est finalement mort à Alcatraz où était enfermé Al Capone… qu’il a d’ailleurs réussi à escroquer, lui volant 600 000 dollars ! Pour lui c’était un sport, il ne craignait rien.

En France, on se souvient aussi des “avions renifleurs”… Oui, ou quand deux zozos font croire à une compagnie pétrolière nationale, Elf, et au gouvernement français, qu’on peut détecter du pétrole depuis le ciel, grâce à un avion équipé d’un appareil qu’ils ont inventé, d’où le terme d’avions renifleurs. Ils ont réussi à convaincre des experts et le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing ! Pour financer leurs “recherches”, ils ont obtenu des commissions colossales, près d’un milliard de francs (soit environ 180 millions d’euros).

Affaire révélée en 1983 par le Canard Enchaîné.

 

Quelques arnaques sont “mignonnes”, comme celle agrandissant le pénis… Oui, dans les années 1990 on trouvait ces annonces un peu étranges dans des journaux populaires français. Celle-ci promettait aux messieurs mécontents de leurs attributs de voir leur pénis s’agrandir, garantissant un remboursement si l’offre ne donnait pas satisfaction – 500 francs à l’époque. Beaucoup d’hommes se sont précipités sur cette publicité… et ont reçu une loupe !

De toutes ces histoires, laquelle a votre préférence ? Il y en a une très poétique. Celle d’une célèbre voyante au Brésil dans les années 1960 : Leonarda Da Silva. Elle a réussi à vendre très chers des appartements au Paradis, en cédant à ses “clients” une clé en mousse.

A-t-elle été condamnée ? La Cour suprême ne pouvait pas la punir. Pour cela, il fallait affirmer que madame Da Silva vendait quelque-chose d’illusoire… en rejetant catégoriquement l’idée du Paradis. Or un tribunal ne peut pas nier l’existence de Dieu ! Elle a ainsi été acquittée.

Ces escroqueries fonctionnent car leurs auteurs vendent avant tout du rêve, non ? Oui, mais les victimes sont aussi nourries par l’appât du gain. C’est toute l’ambiguïté de l’escroquerie. La victime est quasiment toujours consentante, devenant même complice. Je dirais que sa punition est presque morale…

Quels sont les points communs entre ces escrocs ? Une imagination remarquable doublée d’un bagou et d’un culot fou. Plus l’escroquerie est énorme et mieux elle fonctionne. Et puis, à l’inverse des autres truands, l’escroc est discret, ressemble à monsieur-tout-le- monde.

Il jouit d’une certaine “sympathie”, n’est-ce pas ? Oui. Quand on en n’est pas victimes, ces escroqueries sont amusantes. Généralement, elles sont réalisées “proprement”, sans violence. Peutêtre que, dans notre subconscient, chacun de nous aimerait être un escroc, ce personnage capable de tout. Mais remarquons tout de même que peu d’entre eux ont échappé à la prison…

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Propos recueillis par Julien Damien

A lire : Escroqueries légendaires et autres histoires de la délinquance astucieuse, Eric Yung, éd. Cherche Midi, 228 p., 14,50 €

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