Home Exposition Speedy Graphito

Melting-pop

Le Musée du Touquet-Paris-Plage consacre une grande rétrospective à un pionnier du street-art français. Olivier Rizzo, alias Speedy Graphito, s’est fait connaître dès les années 1980 avec ses graffs détournant la culture populaire. Celui qui se définit comme un « DJ des arts plastiques », jonglant entre la photo, la peinture, la sculpture, nous invite dans un monde où Picsou tague, Blanche-Neige croque la pomme d’Apple… Ses oeuvres interrogent notre mémoire collective, l’histoire de l’art, le consumérisme. Alors… allons chez Speedy !

Comment êtes-vous devenu artiste ? Très tôt. Dès la maternelle j’évitais les siestes pour dessiner (rires). à neuf ans, je me suis inscrit à un cours de dessin dans une maison des jeunes en banlieue parisienne où je vivais. Mon professeur concevait aussi des décors de théâtre pour une troupe locale, alors je l’ai aidé. Puis il a été victime d’un accident et j’ai dû, à 14 ans, accomplir cette tâche seul. Parallèlement, j’ai suivi des cours dans deux écoles d’art : celle de la rue Madame et puis l’école Estienne, à Paris.

Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers le street-art ? Quel a été lé déclic ? Quand j’ai commencé, le « streetart » n’existait pas. J’ai débuté dans un atelier avec le chevalet et la toile, à l’ancienne. à cette époque la figuration libre avait amené un nouveau souffle dans les galeries. Mais personne ne voulait de mon travail. J’ai alors reproduit mes tableaux dans la rue, à l’aide de pochoirs, avec mon numéro de téléphone inscrit dessous.

Ensuite ? Dehors j’ai rencontré d’autres artistes. Lorsque l’un d’entre-nous trouvait un lieu d’exposition il emmenait les autres avec lui pour monter des accrochages collectifs. Un jour des galeristes m’ont repéré, tout a démarré comme ça.

Quelle était l’ambiance de l’époque ? C’était le début des années 1980, à Paris. Le quartier des Halles était en pleine transformation, on y construisait le Forum. Il y avait donc beaucoup de palissades en bois sur lesquelles je peignais. Les galeries contemporaines s’étaient aussi regroupées dans ce quartier. La vie artistique était foisonnante, extrêmement festive et dynamique. Les arts se mélangeaient. Les Rita Mitsouko montraient de la peinture dans leurs clips, de jeunes créateurs de mode faisaient appel aux plasticiens…

Sprayground, 2011, 100 X 80 cm

Quelle est l’origine de votre surnom : Speedy Graphito ?  Quand j’exposais dans la rue, vers 17-18 ans, je ne pouvais signer de mon vrai nom car cela restait illégal. Alors, j’ai cherché un pseudo qui sonnait comme une marque, internationale, jouant sur la sonorité et l’énigme.

Comment définiriez-vous votre style ? Je n’aime pas les étiquettes. Je me définis donc comme un artiste libre. Je fais ce que je veux, à l’écoute de mes sensations.

Quels sont vos thèmes de prédilection ? Il y a d’abord le rapport au consumérisme. Prenons ma série sur les villes : celles-ci sont dépourvues d’humanité, croulant sous une accumulation de marques que j’ai détournées pour illustrer l’uniformisation de nos modes de vie. Je me passionne aussi pour la culture populaire qui constitue un autre lien aux quatre coins du monde. Cela passe par les dessins animés, la BD… J’essaie de créer un langage universel dépassant les cultures et les langues.

Est-ce pour cela que vos créations sont peuplées de personnages comme Mickey, Goldorak, Mario… ? Oui, cela permet au spectateur d’aborder mes oeuvres grâce à des éléments qu’il connaît. Une fois qu’il s’approche du tableau, je lui raconte mes propres histoires, en rapport avec mon vécu, mon ressenti sur l’époque. J’essaie aussi d’inventer un art multigénérationnel en mêlant les périodes. Une grand-mère et sa petite fille visitant l’expo auront chacune des clés pour appréhender mes oeuvres. Cela crée un dialogue.

Broken World, 2006 100 x 100 cm

Votre personnage le plus connu est le « Lapinture ». Comment est-il né et que représente-t-il ?  Il est né en 1987. J’avais envie de parler de la peinture comme une sorte de compagne, d’alter-ego capable de ressentir des émotions. J’ai commencé toute une série de toiles représentant les états d’âmes de Lapinture. Cela me permettait d’exprimer mon rapport avec mon art à travers un personnage familier, vivant à mes côtés. Ce personnage a traversé les époques avec moi, s’est métamorphosé. La toile est toujours un miroir de l’artiste…

Vous n’êtes pas en rupture avec les « Grands Maîtres » ? Non, je m’inscris dans une continuité. J’ai reproduit beaucoup de toiles d’art moderne : Vlamynck, Van Gogh… me suis souvent rendu au Louvre. Le tableau qui m’a le plus impressionné est Le Radeau de la Méduse de Géricault.

Vous les faites aussi se croiser dans vos œuvres…  Oui, et d’ailleurs en 1990 j’avais monté une expo, Speedy Graphito peint l’art moderne, dans laquelle je me suis amusé à superposer des mouvements artistiques qui ont cohabité à la même époque, pour voir ce que cela pouvait créer. L’histoire de l’art n’est pas qu’une succession de mouvements, ceux-ci se sont se croisés. Voilà une autre de mes thématiques récurrentes.

Comment jugez-vous l’évolution du street-art ? C’est devenu un effet de mode, le côté underground a disparu. L’aspect « vandale » associé au graffiti perdure mais c’est aujourd’hui accepté par le grand public. Maintenant les gens me remercient de mettre de la couleur dans la ville. Même les personnes âgées m’encouragent.

Atomised Bunny, 2013, 100 x 100 cm

Comme nombre de “street-artistes”, vous sentez-vous proche du hip-hop ? Pas du tout. Je suis issu de la culture « alternative ». Je me sens proche de gens dont l’oeuvre était très graphique comme le collectif Bazooka, Les Musulmans Fumants, Métal Hurlant… toute cette génération un peu plus punk.

Peignez-vous en atelier, dans la rue ? Le plus souvent en atelier. J’interviens aussi sur des murs « officiels », pour des festivals… J’apprécie les deux. à l’extérieur on travaille davantage l’énergie, le rapport à l’espace. Lorsque j’ai réalisé la plus grande fresque d’Europe l’année dernière à Evry, j’étais face à un bâtiment de 3 000 mètres carrés, sur une nacelle à 30 mètres de haut alors que j’ai le vertige (rires). Mais j’aime me retrouver dans des situations extrêmes, histoire de voir ce dont je suis capable.

Comment est née cette rétrospective ? J’avais envie de montrer mon travail dans sa globalité, du début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Beaucoup de gens me connaissent, mais la jeune génération n’a vu que mes toiles sur Internet. Or rien de ce que j’ai réalisé avant 2003 n’y est visible.

Que verra-t-on ? Les trois quarts des oeuvres exposées proviennent de ma collection personnelle. J’en ai toujours gardé au moins une par période, dans l’espoir de les montrer dans leur ensemble. Cette rétrospective n’est pas forcément chronologique. On y entre par les années 1980, on découvre Lapinture* avant d’enchaîner avec les années 1990. Puis on aborde mes thématiques récentes : le consumérisme, Internet, mon interprétation de l’art moderne… Vous pénétrez dans cet univers comme dans une maison hantée de fête foraine : d’un seul coup, vos sensations sont chahutées.

Propos recueillis par Julien Damien
Informations
Le Touquet, Musée du Touquet-Paris-Plage
22.10.2016>21.05.2017tlj sauf mar : 14 h > 18 h, 3,50 / 2 € / gratuit (-18 ans)
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