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Faire ou ne pas faire

(c) Cécile Fauré

A chaque révolution industrielle son courant culturel. Le développement des transports et l’idéologie du progrès scientifique ont stimulé la peinture à la fin du xixe siècle. L’informatique a engendré les arts numériques, les réseaux sociaux… Aujourd’hui, imprimantes 3D et consorts annoncent l’avènement des « makers ». Des bidouilleurs 2.0 qu’on aurait tort de mésestimer. Reportage à Lille, à la veille d’une première Maker Faire, où le mouvement ne cesse de croître.

Lille, quartier Moulins, un jeudi ordinaire à la maison Folie. Nous voici au sein de l’Atelier des bricoleurs. Dans cet espace longiligne et peuplé d’étranges machines*, l’ambiance est aussi studieuse que décontractée. Nous surprenons Fatima, en pleine rigolade avec ses copines. Cette mère de famille n’est pas peu fière d’exhiber ses créations : son linge de maison, ses djellabas et ses voiles sont tous personnalisés ! Il faut dire que cette brodeuse électronique lui facilite bien la tâche. « Il suffit d’y placer le tissu, de choisir les motifs et leurs couleurs en appuyant sur quelques boutons, et voilà le travail ! ». Plus loin, Noël fabrique un filtre en plastique qu’il souhaite insérer dans une conduite d’eau. Ce retraité a dessiné sa pièce grâce à un logiciel et celle-ci est doucement matérialisée dans cette imprimante 3D. Derrière lui, c’est la découpeuse laser qui s’active. Natacha la regarde usiner ses pièces en cuir. Cette jeune designer produit une collection de luminaires (FARO) alliant « matériaux nobles, tradition et modernité »… Bref, Fatima, Natacha et Noël n’ont pas les mêmes profils – certains sont là pour le plaisir,d’autres lancent leur startup – mais font partie de la même “famille” : celle des “makers”. « Ils produisent grâce aux nouvelles technologies des objets de toutes sortes : vêtements, meubles… tout ce que vous voulez. C’est la logique du do it yourself appliquée au monde digital » selon Olivier Sergent, le directeur.

(c) Cécile Fauré

(c) Cécile Fauré

 

Fabulous Fab Lab

L’Atelier des bricoleurs est conçu sur le modèle des Fab Lab. Nés au début du millénaire au Massachussetts Institute of Technology, ces laboratoires de fabrication ont inspiré une communauté attachée à la créativité, la production hors des systèmes commerciaux et l’échange de savoirs. « L’idée du MIT était de mettre à disposition des étudiants des machines de prototypage rapide : imprimantes 3D, découpeuses laser… Tout cela dans un espace ouvert pour mieux partager son savoir, son expérience », explique Bertrand Baudry, coordinateur de l’Atelier des bricoleurs, lequel accueille près de 1 500 personnes par mois ! Au départ, il devait fonctionner quelques semaines mais son succès n’en finit plus de repousser sa fermeture. Cet atelier a vu le jour le 26 septembre 2015, dans le cadre de Renaissance. Cet événement artistique et festif initié par lille3000 montrait comment des villes sinistrées ont su se réinventer. à Moulins, c’est Eindhoven qui fut à l’honneur. Pas un hasard. Décimée après la fermeture de l’usine Philips en 1990, cette ville a perdu 38 000 emplois… pour en gagner 45 000 autres dans le design et l’innovation ! Comment ? « L’école de design locale a investi les milliers de mètres carrés d’espaces délaissés. Elle y a installé des ateliers et invité la population à participer… Petit à petit une communauté de créateurs est née ». Les premiers makers, ce sont eux.

(c) Cécile Fauré

(c) Cécile Fauré

Révolution ?

Loin du simple effet de mode, ce courant pourrait chambouler notre économie. « L’innovation se trouve aujourd’hui ici, dans ces petits labos qui ne sont plus réservés aux ingénieurs, mais à toute la population, selon Olivier Sergent. Ils nous permettent de nous réapproprier les moyens de production, donc d’en changer les règles, comme celles de la distribution, mais aussi de relocaliser l’économie, la plupart des objets manufacturés provenant d’Asie ». Bertrand Baudry nous le confirme : « Aujourd’hui, les gens commandent leur paire de baskets sur Internet. Dans dix ans, on peut imaginer qu’ils achèteront juste le fichier pour concevoir ces chaussures avec leur imprimante 3D… ». Dans ce domaine la France, riche de son savoir-faire artisanal, n’est pas à la traîne, comptant plus de 100 Fab Lab. Lille s’affiche d’ailleurs comme une place forte. Et ce n’est pas près de s’arrêter. En sus de la Maker Faire au Tripostal (voir ci-dessous), le quartier Bois-Blancs accueillera au printemps 2017 le Techshop de Leroy Merlin, soit un Fab Lab de 2 400 mètres carrés – le plus grand d’Europe. Allez, on se retrousse les manches !

*prêtées par Leroy Merlin

(c) Cécile Fauré

(c) Cécile Fauré

 


 

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Photo Marie Tranchant

Photo Marie Tranchant

Texte : Julien Damien / Photo : Cécile Fauré
Informations
Lille, maison Folie Moulins

Site internet : http://www.mfmoulins.mairie-lille.fr

L’Atelier des bricoleursmer > jeu : 14 h > 18 h, ven & sam : 14 h > 20 h, dim : 14 h > 18 h, gratuit

La Maker faire Lille

> Portée par le succès de l’Atelier des bricoleurs, Lille accueille sa première « Maker Faire ». Créé aux états-Unis par la société Maker Events et présenté ici par Leroy Merlin, ce rendez-vous se déploie dans les trois étages du Tripostal. Il s’affiche comme un grand salon des makers. Au programme ? Des stands, des ateliers, des conférences… Plus de 400 créateurs sont attendus, dont 60 % issus du Nord de la France. « On découvrira les startups de demain, et des idées surprenantes », assure Bertrand Baudry. Telle « la box à couture clés en mains » de Green Cheery ou le « Corobot » de Eva Corot – un petit génie de 10 ans ! – qui dessine à la craie sur le sol « pour faire sourire les gens » .

Lille – 05 & 06.11, Tripostal, 10 h > 18 h, 1 jour : 9 / 6 €, pass famille : 21 €, gratuit (-6 ans), www.lille3000.eu

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