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Planète à la carte

(c) Gareth Pon

L’enseigne est aussi discrète que l’homme. Peter Bellerby fabrique des mappemondes dans un vieil atelier du quartier hipster de Stoke Newington, à Londres. à l’écart d’une grande rue, en face d’un bâtiment abandonné, l’endroit nous projette dans un temps sans travail à la chaîne ni production en série. Chez Bellerby & Co Globemakers, chaque pièce est unique, sur-mesure, telle une véritable oeuvre d’art.

« Si un client habite un petit village du nord de la France ou de Belgique, il peut nous demander de le faire figurer seul sur le globe. Il deviendra le centre du monde ! », s’amuse Peter Bellerby. « Certains veulent des illustrations d’oiseaux survolant les mers, dans ce cas on les peint pour eux », poursuit-il. Eh oui, Peter et ses 12 acolytes réalisent tout de A à Z : de la sphère en fibre de verre à la peinture de la carte (aquarelle), en passant par son élaboration (design sur Adobe Illustrator, impression, découpage et collage).

Cette drôle d’aventure a débuté en 2008. Peter souhaite alors offrir à son père un globe terrestre pour ses 80 ans. Mais il est déçu par ceux qu’il trouve dans le commerce. « La plupart sont obsolètes car réalisés en masse. Une grande entreprise ne lance pas une nouvelle série lorsqu’un état est créé, comme le Soudan du Sud par exemple ». Il décide donc de fabriquer lui-même l’objet. « Je me suis donné trois mois, pensant que cela suffirait. C’était un peu fou puisqu’il m’a fallu deux années pour le finir, et ce cadeau m’est revenu à presque 225 000 euros ! ». Soit le coût du lancement de sa société. « J’ai fondé Bellerby & Co Globemakers en 2008, investissant tout ce que j’avais, notamment ma belle Aston Martin. Et je n’ai vendu ma première pièce qu’en 2010. Personne n’en réalisait de façon artisanale dans le monde ». Notre Anglais n’a pas peur du risque. A 51 ans, il a déjà exercé plusieurs métiers. « J’ai été promoteur immobilier, retapé et décoré trois maisons. Je possédais aussi un club de musique en ville. Bref, je m’ennuie très vite. Finalement, la fabrication de globes, c’est l’activité que j’exerce depuis le plus longtemps », avoue-t- il, entouré de guirlandes de bouts de cartes aux couleurs pastel, en formes d’amandes, qui sèchent en attendant de trouver leur place sur la planète.

(c) Julian Love

 

Des clients prestigieux

On marche presque sur des oeufs dans son studio. Tout y est délicat : des matériaux aux outils en passant par le travail des employés. Au rez-de-chaussée, un établi de menuiserie côtoie la fonderie de bronze. Peter propose plusieurs types de support. En dévoilant un impressionnant anneau métallique censé entourer l’équateur, il cache discrètement un nom gravé. « Nous avons des clients très célèbres… », s’amuse-t-il. Car, depuis sa première vente, le nombre de commandes ne fait qu’augmenter. « Elles nous viennent du monde entier : des géographes et géologues, des amateurs de cartes ou de beaux objets faits-main », assure-t-il en montrant une mappemonde en partance pour un atoll du Pacifique. Il évoque aussi des acheteurs moldaves ou de Hong Kong pour lesquels il n’a pas encore terminé le design de la carte. Autre client notoire : Le Louvre ! Le musée français a en effet commandé à Bellerby & Co une réplique du globe céleste de Coronelli dont l’original fut créé pour Louis XIV en 1681.

(c) Cydney Cossette

 

Toutefois, ces créations ne sont pas à la portée de tous : les prix varient de 1 200 euros (pour un globe d’un diamètre de 23 cm) à 6 500 euros pour le “Churchill” (127 cm). Il ne faut pas non plus être trop pressé. « Un petit globe nécessite environ six semaines de travail, un moyen cinq mois et un grand huit mois, des délais à ajouter à notre liste d’attente d’un an et demi…». Car Bellerby & Co est la seule entreprise au monde à détenir ce savoir-faire combinant art et artisanat. Chaque commande accouche d’une oeuvre unique. « Une niche à laquelle nous tenons, assure notre homme. Pas question de grossir démesurément. Cette année, nous aurons produit 100 globes, l’année prochaine entre 500 et 600. Mais quoi qu’il arrive, je ne veux pas dépasser les 1 000 par an. Le plus important reste de rendre nos clients heureux ». Tout comme le fut le père de Peter, même s’il a reçu son cadeau d’anniversaire un peu tard…

Texte : Elisabeth Blanchet / Photo : Gareth Pon, Julian Love, Cydney Cossette, Stuart Freedman, Tom Bunning, Andrew Meredith, Alun Callender
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